
Il y a 10 ans, le corps d’un enfant syrien est retrouvé inanimé sur une plage turque alors qu’il tentait d’atteindre la Grèce sur une embarcation de fortune. L’image du petit Aylan Kurdi fait alors le tour du monde et relance le débat sur l’accueil des migrants en Europe au moment où des milliers de Syriens fuient la guerre. Une décennie plus tard, InfoMigrants est retourné dans les endroits marqués par cet afflux migratoire sans précédent. À Budapest, des milliers d’exilés avaient été bloqués à la gare de Keleti en septembre 2015, transformant cette grande place du centre-ville en camp de migrants. Cet afflux qui a été marqué par un grand élan de solidarité de la population, a aussi été un tremplin pour le discours anti-immigration du gouvernement de Viktor Orbàn et le début d’un long processus d’appauvrissement du droit d’asile.
"C’est difficile de se remémorer cette époque sans émotion. C’était chaotique. Une montagne russe émotionnelle. Je reste encore obsédée par cette période 10 ans après". Devant la gare de Keleti, où nous la retrouvons, Zsuzsanna Dvornik, cheveux coiffés en macarons et vêtue de vert de la tête au pied, se remémore l’été 2015. "Il y avait littéralement des exilés partout. Des milliers de personnes, des familles et des enfants, livrées à eux-mêmes", raconte-t-elle, un brin d’émotion dans la voix.
Zsuzsanna fait partie de ceux qui se sont mobilisés lorsqu’il y a 10 ans, des dizaines de milliers d’exilés – principalement originaires de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak – sont arrivés en Hongrie par la route des Balkans. En seulement quelques jours, les allées de l’édifice ferroviaire situées en plein cœur de la capitale hongroise sont remplies, les trains en direction de l’ouest sont pris d’assaut par des exilés fuyant la guerre dans leur pays et désireux de rejoindre les pays européens plus à l’ouest.
"Très vite, nous avons fait de la cuisine pour des centaines de personnes tous les jours"
Mais alors que 50 000 migrants franchissent la frontière serbe en août, les autorités hongroises serrent la vis. La police évacue l’intérieur de la gare et les liaisons internationales sont arrêtées. En seulement quelques heures, des milliers de personnes s’installent par défaut sur les grandes dalles de bétons qui recouvrent la place et les sous terrains adjacents. (...)
La plus grande gare de Hongrie devient de facto un camp de migrants. Hommes, femmes, enfants… Tous n’ont d’autres choix que de s’installer là, à même le sol, en attendant désespérément la réouverture de la route vers l’ouest. "Ces personnes étaient traumatisées par la route migratoire et devaient survivre dans des circonstances difficiles car elles n’avaient pas de nourriture. Il n’y avait rien à Keleti. Leur argent était dépensé dans des tickets de train ou autres moyens de quitter le pays mais elles étaient bloquées", raconte la professeure.
Malgré "la situation désespérée" dont elle témoigne, Szuszanna garde le sourire. Cette "crise" est aussi le moment "où le peuple hongrois a écrit une partie de son histoire", selon elle. Au bout de quelques jours, la société civile, qui se retrouvait pour la première fois face à un tel flux migratoire, s’est structurée. "Nous avons commencé par distribuer quelques sandwichs, de l’eau, etc. Et très vite, nous avons fait de la cuisine pour des centaines de personnes tous les jours. On a organisé des groupes de distribution de nourritures, d’autres chargés des vêtements, des dons, etc". (...)
Les groupes Facebook de bénévoles atteignent rapidement des milliers de membres et les dons affluent de tout le pays. Des maraudes médicales se mettent en place. Des barbiers viennent offrir leur service. Des bénévoles arrivent même des pays voisins. "Cet été là, un moment historique s’est déroulé", se remémore la professeure.
"Ces personnes font partie de moi maintenant"
Une organisation rendue possible par la mobilisation de tous. (...)
"Tout le discours officiel n’a été que pure rhétorique anti-immigration"
"La municipalité et le gouvernement étaient totalement absents" (...) Dans un premier temps, la mairie, dirigée à l’époque par István Tarlós, du Fidesz, le parti d’extrême-droite de Viktor Orbàn, s’est montrée à l’écoute. Elle a évoqué une halle couverte et la mise en place de sanitaires pour installer les exilés. "Mais ce fut la dernière fois que j’ai entendu parler de ce bureau chargé de la sécurité", raconte le journaliste, Ensuite, "tout le discours officiel n’a été que pure rhétorique anti-immigration".
Les tensions à Keleti ont été un tremplin pour le discours anti-immigration de Viktor Orbàn et son parti. Dès la mi-septembre, avançant "le besoin de protection de l’Europe", une clôture de quatre mètres de haut surmontée de barbelés et de 175 km de long a été érigée à la frontière. C’est ici que, Lilla Zentai, également travailleuse sociale pour Menedek, raconte avoir vécu "le pire moment de sa carrière". "Les migrants étaient installés dans un hangar qui était une ancienne usine automobile. Il y avait des barreaux aux fenêtres et chaque personne avait un bracelet avec un numéro dessus. Ça ressemblait à une cage", raconte-t-elle.
Une "cage" dans laquelle une petite fille refusait de rentrer. "Sa mère, de l’intérieur, lui faisait des signes pour qu’elle n’ait pas peur et la suive. Pour moi, c’était de la science-fiction. C’était horrible à voir", témoigne-t-elle 10 ans plus tard.
Une "violation inédite et exceptionnellement grave du droit de l’Union" (...)