Chaque année, de nombreux Éthiopiens empruntent la route migratoire dite "du nord", qui mène à l’Europe via le Soudan et la Libye. En cause ? Une précarité grandissante, et des conflits régionaux qui minent le pays depuis plusieurs années.
C’est une image de violence devenue presque ordinaire. Sur la vidéo, Salih Suleiman, accroupi et visiblement amaigri, supplie : "Sauvez-moi", "je meurs de faim, s’il vous plait", "envoyez l’argent". Arrêté en Libye sur la route migratoire qui mène à l’Europe, le jeune homme de 27 ans reçoit, après chaque parole prononcée, des coups de bâtons. En échange de sa libération, ses bourreaux réclament 1,4 millions de birrs, soit 7 900 euros.
Si la vidéo de cet ancien enseignant de l’université de Raya, dans la région du Tigré, est devenue virale, elle n’est pourtant pas rare. Régulièrement, des images similaires de migrants torturés et menacés, inondent les réseaux sociaux en Éthiopie.
Comme Salih Suleiman, des dizaines de milliers de personnes quittent chaque année le pays via les routes migratoires informelles. D’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), environ 250 000 Éthiopiens s’engagent chaque année sur ces voies qui mènent dans les pays du Golfe, en Afrique du Sud et en Europe. Si la route dite "de l’Est", qui transite par le Yémen, est la plus empruntée, l’itinéraire qui mène à l’Union européenne (UE) et au Royaume-Uni reste une alternative pour bon nombre de candidats à l’exil. Dans son dernier rapport sur la route du nord publié en 2024, l’OIM constate que "les mouvements suivis le long de cet itinéraire ont presque triplé", passant de 6 200 en 2021 à 17 700 en 2022. Des tendances "probablement sous-estimées", ajoute l’organisation, à cause des difficultés à collecter les données.
Le déclenchement du conflit au Soudan en avril 2023, premier pays de transit de la route du nord, a logiquement découragé les passages via cette voie. (...)
Depuis la guerre, de nouveaux itinéraires, moins dangereux, se sont donc dessinés. Certains exilés optent par exemple pour un visa étudiant délivré par la Russie, pour rejoindre la Pologne par la frontière biélorusse. Autre solution, plus récente : un "package" comprenant un visa Schengen et un billet d’avion pour la Grèce ou la Roumanie, proposé par les passeurs pour un montant de deux millions de birrs, environ 11 300 euros. Les exilés parcourent ensuite en bus le trajet jusqu’en France, où ils prendront la mer pour le Royaume-Uni, premier pays de destination des Éthiopiens d’après l’OIM, devant l’Allemagne, la Norvège et la Suède.
"On paye notre loyer et on mange, c’est tout"
Parmi les raisons qui poussent tant d’Éthiopiens à quitter leur pays : la morosité économique. L’inflation, à 13,5% (...)
Dans ce contexte, de nombreux jeunes diplômés peinent à trouver un emploi avec un salaire leur permettant d’assurer leurs dépenses quotidiennes.
"Ici dès qu’ils ont fini leurs études, les jeunes veulent partir. C’est normal, c’est plus facile en Europe. En Éthiopie, la vie est devenue tellement chère", souffle Birhan*, chauffeur de taxi à Addis Abeba, dont la sœur est installée à Liverpool, en Angleterre. (...)
Un pays miné par les conflits
Dans plusieurs régions d’Éthiopie, les difficultés économiques s’ajoutent à l’insécurité. Depuis avril 2023, un conflit oppose en effet l’armée fédérale aux combattants Fano – une milice nationaliste – dans la région Amhara, la seconde du pays. Pour la population, les conséquences sont dramatiques. D’après une note du gouvernement britannique, les violences dans la région ont fait au moins 7 700 morts entre avril 2023 et avril 2025. (...)
Plus au nord de l’Éthiopie, la région du Tigré, elle, peine à se remettre de la guerre qui a opposé de novembre 2020 à novembre 2022, le gouvernement fédéral au Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). (...)
Aujourd’hui au Tigré, malgré la dangerosité des routes migratoires, les candidats à l’exil ne cessent de croître, pointe Yirga Alemu, chercheur indépendant en sociologie. "La guerre est terminée mais la situation politique et économique est tellement tendue que désormais, ce sont les familles qui poussent leurs enfants à partir, de peur qu’une nouvelle guerre éclate, explique-t-il. Les armes se sont tues, c’est vrai, mais vivre y est impossible".
"Je ne tenterais même pas la route légale"
Pour les jeunes éthiopiens, une fois la décision prise, difficile de quitter le pays de manière légale. D’abord à cause de la complexité de la bureaucratie éthiopienne. (...)
Ensuite parce que l’Union européenne (UE) a durci les conditions de délivrance de visas pour les Éthiopiens. (...)