Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Affaire « Jean Pormanove » : le ministère de l’intérieur a reçu 80 signalements avant la mort du streamer
#JeanPormanove #sevicesendirect #Kick #ARCOM #signalements #Pharos #gendarmerie
Article mis en ligne le 27 août 2025
dernière modification le 26 août 2025

Selon la ministre du numérique, les forces de l’ordre derrière la plateforme Pharos ont été alertées 80 fois à propos de la chaîne vidéo Jeanpormanove. Des gendarmes sont aussi passés cinq fois sur le lieu du tournage, dans le mois qui a précédé la mort en direct du streamer Raphaël Graven.

Ce n’est pas rien, 80 signalements. C’est pourtant le nombre d’alertes qui ont été envoyées officiellement sur Pharos, la plateforme de signalement de contenus illicites sur Internet qui dépend du ministère de l’intérieur, à propos de la chaîne de streaming Jeanpormanove sur Kick, où un homme est mort en direct.

L’information provient de la ministre du numérique en personne. Invitée sur France Inter lundi 25 août, Clara Chappaz a déclaré : « Pharos, la plateforme de signalement de contenus, a reçu un certain nombre de signalements et a traité ces signalements. Quand on voit le nombre de signalements qui ont été reçus, suite à l’article, avant l’article, après l’article, de l’ordre de 80 et quelques, alors qu’il y a 200 000 personnes qui payaient pour regarder ce contenu… »

Ce que sous-entend la ministre, c’est que beaucoup plus d’internautes auraient dû dénoncer ce triste spectacle, proposé presque chaque soir par les streamers Owen C., Safine H., Gwen C., qui maltraitaient régulièrement des hommes vulnérables pour générer des vues et des dons en ligne. (...)

Mais ce nombre de quatre-vingts signalements vient en réalité contredire l’idée selon laquelle personne ne savait ce qu’il se passait sur Kick, cette plateforme vidéo australienne méconnue en France, et sa chaîne la plus suivie, Jeanpormanove, avec 190 000 abonné·es.

Sollicité par Mediapart, le ministère de l’intérieur n’a pas réagi.
80 signalements « traités »

Sur Pharos, n’importe quel·le citoyen·ne peut alerter les autorités s’il ou elle tombe sur un contenu illicite en ligne, par exemple : « violence, mise en danger des personnes, menace ou apologie du terrorisme, injure ou diffamation, incitation à la haine raciale ou discrimination, atteintes aux mineurs », énumère le site officiel. Le processus de signalement dure quelques minutes, car il faut produire une adresse URL, qualifier le contenu manifestement illicite, et remplir un formulaire de déclinaison d’identité.

En 2024, Pharos a reçu 222 364 signalements, selon les données du ministère de l’intérieur, dont 697 qui ont été « traités en urgence absolue, aux fins de sauvegarde de la vie humaine », est-il indiqué. Le nombre total est faramineux, au vu du peu d’agents de l’Office anti-cybercriminalité (Ofac) chargés de les traiter : on dénombrerait 180 personnes au siège à Nanterre (Hauts-de-Seine) selon le site ZDNet, et 200 éparpillés dans des antennes territoriales.

Les équipes de Pharos ont le pouvoir de demander « aux opérateurs techniques de retirer ou de limiter la visibilité des contenus illicites signalés », lorsqu’il s’agit d’atteintes sexuelles sur mineur·es ou de contenus terroristes. Elles peuvent aussi « notifier les hébergeurs » pour leur demander de retirer des contenus signalés, dans d’autres cas comme des contenus discriminatoires.

Que sont devenus ces quatre-vingts signalements reçus, et même « traités » par Pharos, comme l’a confirmé la ministre Clara Chappaz ? (...)

Une enquête préliminaire a été ouverte le 15 décembre 2024 par le procureur de Nice, au lendemain de la publication de deux articles de Mediapart mettant au jour ce qui s’apparente à un business de la maltraitance sur la chaîne Jeanpormanove.

Trois chefs ont alors été retenus : « Provocation publique par un moyen de communication au public par voie électronique à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur handicap, violences volontaires en réunion sur personnes vulnérables et diffusion d’enregistrement d’images relatives à la commission d’infractions d’atteintes volontaires à l’intégrité de la personne. » (...)

Deux des streamers qui organisaient les diffusions en direct et multipliaient les coups contre Raphaël Graven et Stéphane, un homme handicapé surnommé « Coudoux », ont été mis en garde à vue en janvier 2025 tandis que leur matériel informatique était saisi. Les deux victimes ont été entendues par les services de gendarmerie et se seraient toutes deux dites consentantes.

Quelques semaines plus tard, les diffusions ont repris.

D’abord à Malte, où les streamers se sont exilés un temps, puis dans le même local niçois où s’étaient déroulés les sévices mis au jour par Mediapart. À l’été 2025, la machine était définitivement relancée, malgré l’enquête préliminaire toujours en cours. (...)

Deux des streamers qui organisaient les diffusions en direct et multipliaient les coups contre Raphaël Graven et Stéphane, un homme handicapé surnommé « Coudoux », ont été mis en garde à vue en janvier 2025 tandis que leur matériel informatique était saisi. Les deux victimes ont été entendues par les services de gendarmerie et se seraient toutes deux dites consentantes.

Quelques semaines plus tard, les diffusions ont repris.

D’abord à Malte, où les streamers se sont exilés un temps, puis dans le même local niçois où s’étaient déroulés les sévices mis au jour par Mediapart. À l’été 2025, la machine était définitivement relancée, malgré l’enquête préliminaire toujours en cours. Se multipliaient à nouveau les longues diffusions en direct, privations de sommeil, jets de peinture, gifles, cris, humiliations.

Cela au nez et à la barbe des forces de l’ordre, qui sont passées pas moins de cinq fois dans le local niçois, le mois qui a précédé la mort de Raphaël Graven, comme l’a découvert Mediapart.

Le 17 juillet 2025, vers 21 heures. La gendarmerie intervient en direct, quelques heures après que Safine H. a fait un tour en voiture avec Raphaël Graven enfermé dans le coffre du véhicule. (...)

Le 24 juillet 2025. « Y a les schmitt », glisse Owen C., avant de sortir du champ de la caméra. Raphaël Graven est recouvert de peinture, après que Safine H. lui a tiré sur le corps avec un paintball. Il sort également de la pièce pour aller parler aux forces de l’ordre. Les trois hommes finissent par revenir. « Ils sont gentils, rapporte Owen C. en riant, ils ont vu JP plein de peinture, ils ont mis la lampe sur JP, ils ont dit : “Ah !” » Les officiers repartent.
Le 13 août 2025, à 17 heures. Des gendarmes débarquent à nouveau en plein live. « Essayez de sensibiliser vos… je sais pas comment on dit… vos followers, je sais pas, car on a autre chose à faire, quoi », dit le gendarme. Qui repart.
Le 14 août 2025, à 7 heures. Le lendemain matin, deux gendarmes reviennent dans la pièce où les hommes dorment en direct – l’endroit où Raphaël Graven est mort quatre jours plus tard. Ils demandent à voir les pièces d’identité. « Coudoux » se lève, hagard, et retire la chaîne factice qui lui encercle le ventre. « Vous vous filmez en train de dormir ou quoi ? », demande un gendarme, qui repart en leur lançant un : « Bonne nuit les gars ! »
Le 14 août 2025, à 18 heures. Deux membres des forces de l’ordre plus âgés viennent effectuer un nouveau contrôle d’identité. Raphaël Graven est alors affublé d’une minijupe et de bas résille. Owen C. le prend en photo discrètement à côté des officiers, puis montre à ses spectateurs l’image, s’amusant du contraste. « Guettez cette photo, elle est légendaire », dit-il en riant. Les forces de l’ordre repartent.

Interrogé également sur ce point, le ministère de l’intérieur n’est pas revenu vers nous.