Bientôt peut-être on ne pourra plus accéder à la jungle de Calais. Ce matin (06 novembre) les associations ont reçu "une proposition" de la préfecture leur demandant de s’identifier. Depuis quelques temps déjà ce sont les véhicules qu’on a commencé à identifier. Maintenant le tour des personnes va sûrement venir. De jungle, le ghetto risque de se transformer en camp inaccessible.
Pour l’instant on peut encore y circuler librement, qu’on y habite ou qu’on vienne de l’extérieur. Pour ceux qui y habitent le terme liberté il faut l’écrire vite.
Dans les rues de Calais on les reconnait à leur vélo. Pour les habitants de la jungle le bien le plus précieux est le vélo. On trouve des magasins de réparation mais aussi des endroits où grâce à une dynamo reliée à un vélo sur lequel quelqu’un pédale on peut charger des téléphones portables. L’électricité est un bien précieux. Comme l’eau qu’on transporte aussi à vélo. Tout est rare sauf le vent qui souffle.
Ici ce n’est pas une jungle qu’on trouve mais une vraie ville. Avec ses quartiers, ses commerces, ses restaurants, sa mosquée, sa clinique médicale. Tout est régi par une espèce de loi invisible. Les gens se côtoient, se connaissent pour la plupart. Les tentes fleurissent dans la boue un peu partout. Il y a la tente pour la cuisine et celle pour dormir. Elle se soulèvent comme un seul corps quand le vent souffle, souffle et souffle. Les tentes respirent. Elle sont vivantes. (...)
Au total il y a environ 6.000 personnes, la taille d’une petite ville. 13 nationalités se côtoient : Syriens, Erythréen, Soudanais, Irakiens, etc... De plus en plus d’Irakiens me dit-on, ils viennent là où le vent les porte.
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Si vous interrogez les personnes vous allez trouver ces histoires de la misère, devenue si ordinaire : guerre, enfants, frères ou sœurs, parents morts, pauvreté, chômage, familles restées au pays, défaut de soins et de médicaments dans le pays d’origine, défaut d’écoles, etc... Ces histoires on les trouve ici et ailleurs, hier et aujourd’hui. (...)
Le vent chuchote des histoires identiques devant chaque personne. Écoute le tu entendras cet écho infini qu’il porte. (...)
On pourrait être partout dans le monde, au final on n’est nulle part. (...)
Il y a des distributions de nourriture un peu partout grâce aux associations. Il y a même des étudiants de l’Essec Paris venus en stage ici, pendant 1 mois. Il y a de la solidarité et puis il y a de la singularité comme cet artiste réfugié qui n’est pas là aujourd’hui car il est parti exposer à Paris. Alors pour changer on trouverait facilement des jolies histoires à conter mais je n’ai pas envie de me raconter d’histoires. Je reste muette. Et toujours ce vent qui souffle, qui souffle et cet univers qui est là, un tout petit monde qui se crée et qui se recrée à l’infini. Et la guerre, et la mort, et la faim, et l’amour, et l’espoir et le vent, toujours le vent. (...)