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France24
Vingt ans après la mort de Zyed et Bouna : une police plus armée et des jeunes plus méfiants
#France #police #ZyedBennaBounaTraore
Article mis en ligne le 27 octobre 2025

(...) Vingt ans après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés à Clichy-sous-Bois, en banlieue parisienne, alors qu’ils fuyaient la police, la France reste l’un des seuls pays démocratiques d’Europe à avoir connu deux grandes vagues d’émeutes urbaines en vingt ans : en 2005, puis en 2023, après la mort de Nahel Merzouk, tué lors d’un contrôle de police. "Un symptôme durable d’une fracture entre jeunes des quartiers populaires et forces de l’ordre", estime Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et auteur en 2022 de "La nation inachevée. La jeunesse face à l’école et la police" (Éd. Grasset).

Le policier Abdoulaye Kanté, qui venait d’intégrer la brigade des stupéfiants de Paris en 2005, se souvient bien de cet évènement qu’il a vécu de l’intérieur. "Toutes les forces de l’ordre étaient mobilisées. Des gamins qui meurent comme ça, ça a choqué tout le monde. Ça a accouché des émeutes. Et derrière, nous, en tant que policiers, ça nous a marqués."

Mais pour lui, la tragédie de 2005 aurait pu être évitée. "Si les gamins s’étaient arrêtés, on n’en serait pas arrivé là. Certains disent que c’est la peur qui les a fait fuir. Moi, je dis aux jeunes que ça ne sert à rien de fuir la police, parce que vous pouvez soit causer un drame [accident de la circulation], soit mourir en fuyant." (...)

L’arrivée des réseaux sociaux a bouleversé la relation police-jeunesse, estime le policier. "Les jeunes sont biberonnés aux réseaux sociaux, qui ont décuplé les phénomènes de violence". Militant pour une meilleure approche éducative, Abdoulaye Kanté plaide pour une grande campagne de "prévention numérique".

Il souligne le rôle de ces plateformes numériques, notamment dans le recrutement des jeunes par les trafiquants de drogues. (...)

Une police de plus en plus armée

En vingt ans, observe quant à lui Sebastian Roché, politologue spécialisé en criminologie, la police française s’est enfermée dans une "approche confrontationnelle". "Elle a fait le choix d’aller à la confrontation. Et pour cela, il faut être équipé. L’équipement symbole de cette approche, c’est notamment le LBD [lanceur de balles de défense], dont l’usage a été généralisé." (...)

Le chercheur estime que cette logique de confrontation dans la relation entre la police et la population a été initiée en 2005 sous Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, confirmée sous François Hollande, puis pleinement assumée par les gouvernements d’Emmanuel Macron. Une orientation, souligne-t-il, "jamais véritablement remise en cause".

La France, souligne le chercheur, est un des rares pays d’Europe à utiliser les LBD, combinée à des grenades explosives.

Les forces de l’ordre disposent aussi d’armes longues, comme le fusil d’assaut HK G36, dont elles ont été dotées après les attentats de 2015. Une arme utilisée lors des tirs mortels du Pont-Neuf à Paris, en avril 2022, quand un policier a tué deux occupants d’un véhicule refusant d’obtempérer.

Pour Abdoulaye Kanté, cette évolution des équipements de police était nécessaire. "Nous vivons dans une société de plus en plus violente. Il fallait évoluer avec un matériel adapté pour parer à cette violence. Il n’est plus rare de tomber sur des Kalachnikov lors de contrôles. Il faut qu’il y ait des équipements qui puissent nous protéger. D’autant que depuis les attentats nous sommes des cibles à part entière en tant que policiers".

En 2024, 6 000 policiers ont été blessés lors de violences volontaires du fait d’un tiers, selon le ministère de l’Intérieur.

Contrôles d’identité : un malaise persistant

Selon Sebastian Roché, le malaise entre jeune des quartiers et policiers a beaucoup à voir avec un autre pilier de l’action policière française : les contrôles d’identité. "Ces contrôles sont prioritairement réservés aux quartiers défavorisés, et dans ces quartiers, aux jeunes d’origine étrangère."

"De ce point de vue-là, rien n’a changé en vingt ans. Or on observe que les jeunes exposés aux contrôles policiers se sentent moins français, pas intégrés dans le collectif politique, et se reconnaissent très peu dans les institutions", rappelle le chercheur qui a participé à des études comparatives avec la police allemande. Il note qu’Outre-Rhin, les forces de l’ordre recourt beaucoup moins à ce type de pratique, ce qui contribue à apaiser les relations avec la population. (...)

Le politologue relève aussi la répétition "de mots qui blessent". En 2005, Nicolas Sarkozy parlait de "nettoyer la Cité des 4000 au Kärcher". En 2023, les syndicats Alliance et UNSA-Police évoquaient des "hordes de sauvages" et des "nuisibles", pour qualifier les jeunes qui se sont révoltés après la mort de Nahel. Des termes qui ont suscité une vive polémique. (...)

Pour Sebastien Roché, "ce vocabulaire se rattache facilement à l’extrême droite, voire à des épisodes européens d’extermination des minorités, même si ce n’est pas le même processus."

En 2017, se souvient le chercheur, un syndicaliste policier de l’Unité SGP-FO, Luc Poignant, était interrogé sur les rapports entre jeunes des quartiers et forces de l’ordre, sur le plateau de l’émission "C’dans l’Air". Il avait alors jugé l’insulte "bamboula" pour parler des noirs comme "à peu près convenable". Ses propos avaient aussitôt suscité l’indignation et été condamnés par le ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux.
Une politisation des policiers ?

"L’ordre, l’immunité pour les policiers en cas d’usage des armes, la présomption de légitime défense… Les thèmes développés par le Rassemblement National sont très proches de ceux développés par les syndicats de police comme Alliance, reflet lui aussi d’une droitisation de la société", relève le chercheur.

Or une étude récente du Cevipof analysant les résultats des élections législatives de 2024 montre une surreprésentation du vote d’extrême droite chez les policiers. Chez les militaires et les policiers, le vote RN a atteint les 67 % au second tour.

D’autres signaux révèlent des liens entre le RN et certains responsables de police (...)

"Ces liens avec le RN ne veulent pas dire que les policiers sont tous profondément racistes. Une partie des voix de l’électorat d’extrême droite est juste très mécontente du fonctionnement des institutions publiques", explique aussi Sebastian Roché.

Diversification : une police qui change lentement

Vingt ans après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, la police engagé un effort de diversification dans son recrutement. Mais "la diversification se fait surtout aux étages inférieurs de la police, notamment en région parisienne. Tandis qu’au sommet, il y a encore très peu de femmes et de minorités à des postes à responsabilité", relève le chercheur. (...)

Il existe aussi plusieurs associations de policiers oeuvrant à retisser le lien avec la jeunesse, comme à travers le développement des centres de loisirs jeunesse de la police nationale, ou d’initiatives locales, souvent sportives, rappelle Abdoulaye Kanté. "Je ne dirais pas qu’il y a un fossé entre la jeunesse et la police, il y a des incompréhensions", estime-t-il, convaincu qu’il existe encore un espace pour la pédagogie et le dialogue.

Mais selon Sebastian Roché, ces initiatives ne masquent pas les problèmes de fonds. En France, la formation des policiers reste trop courte car le besoin de policier pour compenser les départs à la retraite est urgent : douze mois, dont seulement six passés en stage.

"En Allemagne, c’est deux ans et demi à trois ans", souligne-t-il. "Tous les policiers y ont un diplôme du supérieur. Le métier est considéré comme complexe, et donc mieux préparé."

Les tests psychologiques y sont aussi plus poussés (...)

Une police épuisée et inégalement répartie

Sur le terrain, les policiers disent leur épuisement. Surchargées depuis la vague d’attentats, confrontées à des effectifs inégalement répartis, les forces de l’ordre peinent à répondre à toutes les sollicitations. Et l’inquiétude se fait sentir face les baisses budgétaires qui affectent l’ensemble des services publique en France. (...)