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Mediapart
« La réponse contre les reculs démocratiques dans l’UE a été ratée »
#UE #democratie #autocrates
Article mis en ligne le 29 octobre 2025
dernière modification le 26 octobre 2025

Le politiste Tom Theuns est l’auteur d’un ouvrage sur l’incapacité de l’Union à prévenir les dérives autoritaires de ses États membres. Il appelle à utiliser des outils juridiques négligés, et à refaire de la politique contre l’entente des autocrates.

À l’heure où l’administration Trump se livre à une tentative de changement de régime aux États-Unis, pour faire basculer ces derniers dans le camp peuplé des autocraties, l’Union européenne (UE) pourrait se donner pour mission de devenir une nouvelle « réserve de puissance » pour les démocraties.

Premier problème : la vague mondiale de recul des démocraties libérales touche aussi le continent européen, et même l’UE en son sein. Deuxième problème : autant des conditions strictes sont à remplir pour rejoindre l’Union, autant les régressions démocratiques ont longtemps fait l’objet d’un impensé. Comme si la participation à l’intégration européenne éloignait pour toujours la possibilité d’un pouvoir capable de défaire l’État de droit, de menacer les libertés fondamentales et de rendre inéquitable la compétition politique.

Menacée d’effacement dans le champ géostratégique comme économique, l’UE pourrait donc voir son déclin nourri par une autocratisation de ses membres. Certes, il existe aujourd’hui des procédures qui peuvent être ouvertes contre les États s’éloignant des standards d’une gouvernance démocratique. C’est même l’objet du livre du politiste Tom Theuns, Protecting Democracy in Europe (Hurst Publishers, 2024, non traduit). Mais le professeur de l’université de Leyde (Pays-Bas) en fait une critique sévère.

Dans son ouvrage, il met en garde : plus un processus d’autocratisation s’ancre dans le temps, plus il devient difficile à contrer. L’apaisement n’étant pas une option, il faut déployer selon lui une nouvelle stratégie. Entretien avec un chercheur qui appelle tout simplement à refaire de la politique. (...)

Tom Theuns : Le phénomène du déclin démocratique dépend évidemment de nombreux facteurs, mais dans l’UE je le relie avant tout à l’ascension de l’extrême droite. Certains analystes ont mis en garde contre « les populistes de gauche » dans les années 2010, mais les rares qui sont parvenus au pouvoir n’ont pas significativement dégradé le cadre démocratique de leur pays.

La première alerte sérieuse date de 1999, avec des élections générales en Autriche et la formation d’un gouvernement, en 2000, qui intègre le parti d’extrême droite de Jörg Haider, le FPÖ. Il a refondé cet appareil en portant une ligne très dure contre l’immigration et l’islam, selon une formule appelée à prospérer électoralement jusqu’à nos jours.

À l’époque, c’est un choc et des sanctions bilatérales, quoique coordonnées, sont prises. Elles sont cependant rapidement levées, ce qui a d’emblée entamé la crédibilité du combat pour les valeurs fondamentales de l’Union. En réaction, les autres États membres et partis politiques européens ont travaillé à un nouveau modus operandi contre les reculs démocratiques, plus précautionneux et surtout bureaucratique. Mais cette réponse a été ratée. (...)

Le traité de Maastricht, en 1992, est le premier à affirmer que l’Union repose sur le respect des droits de l’homme et les normes démocratiques.

Le premier traité qui inclut un mécanisme de sanction – une suspension des droits de vote du pays concerné – est celui d’Amsterdam, en 1997, dans le contexte de l’élargissement à venir de l’UE aux pays de l’ex-bloc soviétique, en Europe centrale et orientale. Il y avait clairement une méfiance envers l’arrivée de nombreux États ayant récemment accompli leur transition vers la démocratie libérale. Cette prévention était apparemment plus forte qu’à l’encontre des pays qui avaient connu des régimes fascistes ou des dictatures de droite. Ce qui ne manque pas de piquant quand on connaît la suite. (...)

Votre diagnostic est sévère sur les dispositifs existants. Quels en sont les principaux défauts ?

La réponse des institutions de l’UE est dépolitisée, très et trop juridique. La conception de la démocratie qu’elle implique est elle-même étroite. Elle est centrée sur l’existence d’élections libres et compétitives, ce qui met de côté la liberté des médias, celle de la société civile, les libertés académiques… C’est en raison d’atteintes à ces dernières que le caractère équitable des élections est mité, car cela exige une sorte d’écologie pluraliste et médiatique qui finit par faire défaut. (...)

n l’état actuel du droit, il n’y a pas de procédure d’exclusion évidente. On a seulement une procédure de sortie volontaire, par l’article 50 du TUE, que seul le Royaume-Uni a empruntée jusque-là. Or aujourd’hui, on a au moins un État membre, la Hongrie, qui n’est pas démocratique. Que faire ? À défaut de son exclusion, on pourrait imaginer que les autres États membres menacent de déclencher un article 50 pour recréer une UE sans cet État autoritaire.

Cela semble une alternative assez utopique. On ne va pas créer des UE « bis » ou « ter » à chaque fois qu’une autocratie reste indélogeable…

Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il faut résister au fatalisme de partager notre souveraineté avec un État autocratique. Il n’y a pas d’obstacle juridique indépassable. Politiquement, brandir cette solution est l’occasion, pour un ou plusieurs pays en coalition, de définir des lignes rouges pour affirmer qu’ils ne toléreront plus les manquements les plus graves, ni la complaisance d’autres États membres envers ces manquements. Il s’agit de créer un rapport de force politique pour agir contre l’autocratisme.

En tout cas, l’idée que le statut de membre ne puisse être contrôlé que par l’État qui le détient n’est pas acceptable. L’autocratisation d’un seul membre de l’Union a des effets substantiels et politiques sur tous les autres. Orbán a un veto sur le budget européen, rappelons-le. (...)

les autocrates se soutiennent mutuellement sans aucun problème, en dépit de leur agenda nationaliste.

De manière générale, quand un acteur devient un vrai danger pour la continuation d’un État démocratique, des solutions juridiques drastiques peuvent être appropriées. Mais avant qu’on en arrive là, je pense qu’il faut d’abord tout faire pour convaincre les citoyens eux-mêmes. De ce point de vue, on ne peut que s’inquiéter de la faible capacité des gouvernants démocrates, ces dernières années, à convaincre les peuples par leur action publique.

S’ils étaient plus conséquents, ils réfléchiraient à des politiques qui répondent mieux aux aspirations citoyennes, sans hésiter à utiliser les outils juridiques qui ne requièrent pas l’unanimité contre d’autres dirigeants en pleine dérive. C’est ce que permet l’article 259 du TFUE, très important car il n’y a pas grand-chose à attendre, à mon avis, de la Commission européenne, dont un des vice-présidents [l’Italien Raffaele Fitto – ndlr] est d’extrême droite.