La France a commis d’innombrables crimes contre l’humanité lors de la conquête coloniale de l’Algérie, puis pour s’y maintenir durant 132 ans. Il est plus qu’urgent de démolir la mythologie impériale-républicaine dans laquelle communie une large partie des champs politique et médiatique. C’est ce que propose Olivier Le Cour Grandmaison dans son dernier livre intitulé Oradour coloniaux français, paru aux éditions Les Liens qui libèrent, dont nous publions ici la conclusion.
Des extrêmes droites aux républicains, affectés d’un fort strabisme divergeant vers le Rassemblement national, ils sont toujours plus nombreux à pérorer sur les splendeurs passées de l’empire colonial. En dépit de certaines différences, tous vénèrent le roman impérial-républicain que, par ignorance ou aveuglement partisan, ils confondent avec l’histoire. Pour découvrir les origines et les conséquences désastreuses de ces involutions politiques, culturelles et universitaires parfois, nul besoin de se rendre aux États-Unis présidés par Donald Trump. Les régressions apologétiques et liberticides, et les productions doxiques et médiatiques qu’elles favorisent, sont tricolores et antérieures. Elles prospèrent suite au vote de la loi du 23 février 2005 relative à « l’œuvre » accomplie par la France dans ses colonies.
Depuis, mythologues et scribes divers ont remporté de nombreuses victoires. De même les mercenaires incultes au service de plusieurs oligarques ; ces Croisés du XXIe siècle qui œuvrent pour le salut de l’Occident chrétien et de la France éternelle. Ils prétendent s’engager pour la vérité, l’honneur du pays et le fier coq gaulois dressé sur ses ergots pour défendre une civilisation et une identité à nulles autres pareilles ; ils sont les dangereux fourriers d’une réaction politique, culturelle et morale qui progresse désormais drapeaux déployés. (...)
Des faits, des nombreux livres et témoignages, et des aveux parfois, ils n’ont cure. Les premiers sont traités comme une matière ductile qu’ils façonnent à loisir pour servir des intérêts identitaires et partisans. Et lorsque des événements contredisent des pages importantes du roman national, les mêmes s’empressent de les occulter ou de les minorer en vantant les aspects prétendument positifs de la colonisation. Quant aux multiples ouvrages français et étrangers consacrés au passé esclavagiste et impérialiste de l’Hexagone, ils sont tenus pour négligeables ou sont vilipendés en raison de la « légende noire »[2] qu’ils sont supposés entretenir.
Admirable expression qui permet de faire croire que la gravité des événements rapportés est exagérée à dessein voire même que ces derniers n’ont jamais existé et qu’en tout état de cause ils n’ont pas l’importance que certain·e·s leur accordent. (...)
À cela s’ajoute, sous couvert de contextualisation rigoureuse, l’invocation de l’« esprit du temps » qui peut justifier toutes les causes, même les pires, comme si nulle critique ou résistance significative n’avait existé. Classique interprétation rétrospective qui repose sur des analyses partielles et partiales des conjonctures passées. En occultant ou en minorant les luttes anticoloniales, en particulier celles des « indigènes » qui furent souvent les premiers à s’opposer à la France puis aux Républiques impériales, et les voix dissidentes de la métropole, une telle interprétation métamorphose l’histoire en destin et ce qui résulte de choix politiques souvent contestés en nécessité dictée par les circonstances.
Depuis l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020, les desservants du culte national ont ajouté à leur répertoire argumentatif plusieurs accusations hyperboliques. Des responsables politiques extrême-droitisés et de nombreux chiens de garde stigmatisent les partisans du « wokisme », de l’islamo-gauchisme et de la « cancel culture ». Tous sont tenus pour de dangereux ennemis qui recourent à « l’intimidation » et à la « terreur idéologique », menacent les universités, la « médecine et les sciences dures »[4] et, in fine, la société tout entière. Une sorte de « parti de l’étranger » qui emprunte aux courants radicaux états-uniens, rhétorique, modes d’action et sectarisme liberticides voire même « totalitaires »[5].
Relativement à ces incriminations, quelques questions s’imposent. Qui sont les auteur·e·s de nombreuses omissions, distorsions factuelles, voire de véritables manipulations entées sur l’euphémisation, la négation parfois et la dénégation le plus souvent ? (...)
Au regard des stratégies discursives étudiées et de leurs conséquences, si le courage de la vérité est nécessaire, le courage de la qualification doit le compléter. Il est indispensable pour spécifier les actes commis – crimes de guerre, contre l’humanité ou génocides – et mettre au jour leurs particularités, leur gravité distincte et, en ce qui concerne ces derniers, leurs terribles effets pour les victimes et leurs descendants souvent et longtemps affectés par la destruction de tout ou partie de leur famille[10].
De plus, cet effort de qualification permet d’accéder à une connaissance précise des auteurs : civils, militaires, membres des forces de l’ordre, fonctionnaires, ministres, etc., d’exhumer les hiérarchies officielles et/ou parallèles, et la chaîne complexe des responsabilités multiples. En Algérie comme dans d’autres possessions, outre ces divers acteurs, l’État puis quatre républiques sont aussi responsables car ils leur ont permis, grâce des ordres écrits ou oraux, d’agir en toute impunité. Parfois ce sont des dispositions législatives qui ont conduit à la commission des crimes coloniaux (...)
Ces précisions ruinent la propagande de l’époque et les procédés discursifs toujours mobilisés par les défenseurs du roman impérial-républicain. (...)
Lorsque les extrêmes droites et les Républicains placent ces batailles au plus haut de leur agenda, s’abstenir de riposter est une faute majeure qui leur laisse le champ libre et leur permet de prospérer. Dénoncer leurs mensonges éhontés, défendre les libertés académiques et d’expression, œuvrer à la décolonisation de la République et de l’espace public, et exiger de l’État la reconnaissance des Oradour coloniaux, des réparations et la restitution des biens spoliés pendant des décennies sur tous les continents, sont quelques-uns des impératifs de l’heure. (...)