Avec Meutes, Swings et Pirates de l’Edelweiss, l’historien allemand Sascha Lange nous plonge dans l’univers méconnu des bandes de jeunes sous l’Allemagne nazie. Une histoire de contre-cultures en résistance par la danse comme par les poings.
Le spectacle de 300 personnes qui dansaient était terrifiant. Aucun couple ne dansait de façon à peu près normale. Les gens swinguaient de la façon la plus ignoble et la plus extrême […]. Chez certains on pouvait même sérieusement douter de leur santé mentale », rapporte un membre halluciné de la patrouille des Jeunesses hitlériennes (JH) en infiltration dans une fête à Hambourg. Nous sommes en Allemagne en février 1940 et les nazis n’arrivent pas vraiment à faire appliquer leurs lois visant les jeunes (adhésion obligatoire aux JH, couvre-feu, censure politique et culturelle, participation à l’effort de guerre…) Cela fait pourtant plus d’une décennie que l’État fasciste en devenir surveille cette jeunesse allemande qui a soif d’autonomie et de vie culturelle, et qui se regroupe en bandes – composées d’un quart à un tiers de filles – pour organiser des activités en dehors de la tutelle des adultes, de l’État et des partis politiques… Mais dans cette Allemagne crépusculaire, partir en excursion dans la nature, écouter les derniers vinyles de swing, chanter des chansons populaires ou s’habiller selon ses propres codes revient à défier le IIIe Reich.(...)
Qu’elles soient issues de la classe ouvrière ou bourgeoise, politisées (de gauche ou de droite) ou non, organisées ou informelles, toutes avaient en commun de refuser, consciemment ou non, l’endoctrinement – puis l’enrôlement – du régime nazi, en chantant, en dansant ou en se bastonnant. « Notre groupe ne s’intéressait pas à la politique et ce sont les nazis qui nous ont poussés à la confrontation en raison de nos goûts musicaux, de nos accoutrements et de nos coiffures », se remémore Heinz Koch, de la Meute des Hallois de Gosen, à l’ouest de Leipzig. Une résistance au conformisme que Johann Chapoutot qualifie, dans la préface, de Resistenz au sens de résistance des matériaux, où la lutte « c’est peut-être moins faire dérailler un train ou tenter d’assassiner Hitler que croiser les bras lorsque tout le monde le tend ».
Mais au fil de la guerre la répression s’intensifie et, surveillés par la Gestapo ou victimes de dénonciation, des centaines de jeunes sont condamnés, non plus à une journée de formation après s’être fait coupé les cheveux, mais à de la prison ferme, aux camps de travail, ou tout simplement condamnés à mort et exécutés en prison, pour un tract, des graffitis ou une bagarre de rue. Reste qu’on ne tue pas si facilement « une envie irrépressible de liberté » (...)
un appel à retrouver le goût et l’urgence de swinguer contre le fascisme.