Il est très inhabituel que l’archevêque d’Alger s’exprime sur les relations franco-algériennes. Les déclarations comminatoires et belliqueuses du ministre de l’Intérieur Retailleau, l’un des représentants d’un courant politique qui n’a pas digéré l’indépendance de l’Algérie, ont poussé Jean-Paul Vesco à le faire dans La Croix le 24 mars 2025. Il évoque très justement l’arrière-plan historique de la relation franco-algérienne depuis 1962, affirmant « qu’il y a entre la France et l’Algérie un rapport non réglé d’abuseur à abusé ». Ce qui, dans le contexte actuel de l’Eglise catholique, est une image très forte. Nous reproduisons son entretien avec son accord.
« Ici, l’attitude de la France est vécue comme insultante et injuste. Elle vient raviver une blessure dans l’âme algérienne dont on ne peut mesurer la profondeur que dans le temps long d’une vie partagée. » (...)
Le fond du problème est néanmoins à rechercher infiniment plus en amont, dans un passé colonial non réconcilié, notamment parce qu’il n’y a pas eu de prise de conscience des conséquences dévastatrices du fait colonial en lui-même sur une population, de génération en génération. Dès lors, la relation franco-algérienne boîte depuis soixante ans, allant de crise en crise, de tentative de réconciliation en tentative de réconciliation, sans jamais pouvoir se poser dans la confiance. C’est cet arrière-fond qui fait le nid de la crise dite « des OQTF » (obligation de quitter le territoire français, NDLR). Regarder cette réalité en face serait plus efficace que de tenter en vain de tordre le bras à l’État algérien. (...)
L’archevêque d’Alger : « Ma conviction est qu’il y a entre la France et l’Algérie un rapport non réglé d’abuseur à abusé » (...)
« Nous ne voulons pas la guerre avec l’Algérie, c’est l’Algérie qui nous agresse », a récemment affirmé Bruno Retailleau. Comment pourrions-nous sortir de l’impasse ?
Card. J.-P. V. : Ce qui me gêne dans les propos du ministre de l’intérieur français, c’est le ton comminatoire de ses injonctions aux autorités algériennes. L’Algérie ne cède jamais face à ce type de discours, spécialement venant de la France. Le ministre de l’intérieur le sait mieux que quiconque. En Algérie, tout est fondé sur la relation de confiance. Cette confiance a été perçue comme trahie par le changement de position française sur la question hautement symbolique du Sahara occidental alors qu’elle semblait être en train de se tisser entre les deux présidents. C’est tout de même le point de départ de la crise actuelle.
Pensez-vous que le divorce puisse encore être évité ?
Card. J.-P. V. : J’ose encore l’espérer. Le divorce entre la France et l’Algérie, appelé de leurs vœux par des responsables politiques qui semblent régler des comptes avec leur histoire personnelle, serait une voie suicidaire pour la France. Les conséquences ne seraient pas seulement une rupture de relations diplomatiques avec un pays, mais le divorce silencieux de millions de Français musulmans, pas seulement franco-algériens et souvent parfaitement intégrés, avec le pays dans lequel ils vivent et qu’ils contribuent à faire vivre. C’est ce qui est en train de se produire et c’est l’une des raisons principales de ma colère. (...)