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« On continuera à secourir malgré les risques » : En Cisjordanie, les soignants face aux attaques de l’armée israélienne
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #soignants
Article mis en ligne le 24 décembre 2024
dernière modification le 22 décembre 2024

Depuis le 7 octobre 2023, les attaques de Tsahal contre les soignants de Cisjordanie se sont aggravées. Désormais, secourir les autres est synonyme de mettre en péril sa propre vie. Reportage à Tubas, Jénine et Naplouse, trois villes sous le feu des raids.

(...) À 17 heures, Mahmoud Ranan, 36 ans, directeur du département des urgences, regagne enfin son domicile. Derrière son sourire, il semble en léthargie. C’est lui que l’on distingue sur la vidéo, agenouillé en blouse blanche, avant de se relever et de tituber épaulé par un confrère. Les jambes de Mahmoud ont été atrophiées après plusieurs minutes d’immobilisation. « Je suis atteint de sclérose en plaque. Je ne dois pas rester trop longtemps à genoux ou dans des positions inconfortables. Cela me crée des douleurs lancinantes » confie-t-il, les yeux humides et les mains gonflées à cause des menottes. Mahmoud fait le récit d’une journée d’horreur avec calme et retenue, presque comme s’il n’était pas pleinement conscient des violences subies. (...)

Une épée de Damoclès

Mohammad Samara se trouvait dans son bureau lorsqu’il a entendu des coups de feu puis des cris. Son téléphone a sonné. Des soldats israéliens lui ont intimé l’ordre de descendre immédiatement. Arrivé en bas, il a reçu une volée de coups de pieds et de coups de poings. « Les soldats étaient très agressifs. Ils exigeaient que je fasse sortir les corps de la chambre froide. J’ai refusé, n’en ayant pas le droit. Ils m’ont alors menacé, exigeant les corps en échange des soignants agenouillés », raconte-t-il très vite, comme si les mots débordaient de sa bouche. Ce responsable affirme également que des tireurs d’élite se sont infiltrés dans l’hôpital, tapis dans l’ombre. « Les soignants palestiniens travaillent dans des conditions qui dépassent l’entendement. »

En Cisjordanie occupée, les ambulanciers, les infirmiers, les médecins ne comptent plus les fois où ils ont été visés par l’armée israélienne. Le 20 novembre dernier, des secouristes de Jénine opérant en plein assaut ont également été pris pour cibles par Tsahal. (...)

« Une épée de Damoclès rôde constamment au-dessus de nos têtes » affirme Ahmad Jabreel, 50 ans, directeur des services d’ambulance et d’urgence du Croissant Rouge - organisation humanitaire qui oeuvre pour protéger la vie des civils dans les zones de guerre.

Il a été ciblé à plusieurs reprises depuis 1997, notamment lors de l’invasion du camp de Balata à Naplouse en 2002, durant la deuxième Intifada, période marquée par des tirs réels visant ambulances et équipages.

Ces agressions, constantes depuis des décennies, ont coûté la vie à plusieurs membres du Croissant rouge, comme le docteur Khalil Suleiman tué par une grenade en mars 2002 à Jénine (le ministère palestinien de la Santé a renommé l’hôpital gouvernemental en son honneur), ou encore Bassam Al-Bilbisi, secouriste qui tentait d’aider un père et son fils blessés à Gaza en 2000.

Depuis le 7 octobre 2023, les attaques contre les équipes médicales se sont intensifiées, entraînant la mort, les blessures ou l’arrestation de nombreux ambulanciers, en Cisjordanie et à Gaza. « Ces attaques violent le droit international », fustige Ahmad. En mai dernier, le chirurgien Osayd Jabarin, 51 ans, est abattu à Jénine alors qu’il se rendait au travail. (...)

Des manœuvres militaires qualifiées d’inhumaines (...)

« Les soldats tiraient sur le département des urgences. C’était effrayant. J’ai transféré les patients vers d’autres unités pour les protéger. Puis trois soldats ont fait irruption en braquant leur arme sur mes collègues et moi-même, le doigt sur la gâchette. Ils nous hurlaient dessus et demandaient frénétiquement où se trouvait le blessé qui a échappé à la mort lors de l’explosion de la voiture à Tubas. Puis ils nous ont poussés contre le mur et nous ont menottés avant de nous faire sortir dehors, à genoux, pour nous humilier » raconte-t-il sous l’oreille attentive de son fils Adam, 6 ans à peine, qui a visionné la vidéo sur le téléphone de sa mère.

Lorsqu’on demande à cet enfant ce qu’il a alors ressenti, il répond automatiquement « hedi » - une formulation générale en arabe pour désigner la normalité, l’habitude. Après un instant de silence, il avoue d’une voix douce et avec le ton d’un adulte : « J’étais inquiet mais je suis habitué aux violences. C’est le quotidien des enfants palestiniens. »

Le blessé que Tsahal veut retrouver se nomme Ayman Ghanam, affilié à la brigade Al-Qassam. Si les soldats israéliens veulent absolument le capturer, c’est parce qu’il est susceptible de délivrer des informations. « Maintenant que les soldats savent qu’il est en soin à Naplouse, ils vont lancer un assaut à l’hôpital al-Arabi, tu vas voir », lance Bassam Abu Alrub, journaliste pour l’agence palestinienne de presse Wafa à l’un de ses confrères couvrant les événements ce jour-là.

Au total, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recense 1 043 agressions contre les services de santé palestiniens à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est depuis le 7 octobre 2023. (...)

Les Palestiniens « hors humanité »

La nuit est tombée sur Tubas. Des barrages ont été installés par Tsahal sur toutes les routes. Une chaîne de lumières rouges et orangées scintille, s’élevant des fonds des vallées jusqu’aux hauteurs des collines.

Le lendemain, vers 19 heures, les routes à l’entrée de Naplouse sont bondées de soldats et de jeeps Israéliennes. Même la police de l’autorité palestinienne est présente. Un officier arrête un bus en provenance de Ramallah. Des familles sont soumises à un contrôle d’identité. Les autorités israéliennes et palestiniennes semblent s’activer pour trouver toute personne en lien avec Ayman Ghanam.

Vers 21 heures, les soldats des forces spéciales israéliennes enfilent des vêtements civils, et entrent dans l’hôpital al-Arabi. « D’un seul coup, ils ont sorti leur arme et l’ont pointée sur deux infirmiers, demandant où était le blessé », raconte Imad Abushaish, 33 ans, docteur aux urgences de l’hôpital. Abderrahim, l’un des membres du personnel soignant victime de violences de la part de l’armée, apparaît exténué, dépassé, incapable de répondre aux questions des journalistes. « Écoutez je suis épuisé, je veux juste rentrer chez moi, je suis vraiment désolé », lance-t-il poliment. (...)

Face à toutes ces brutalités quotidiennes, Imad Abushsaish explique qu’il ne peut pas se permettre d’avoir des émotions. « À quoi ça sert ? On est obligés de tenir le coup. Pas le choix. On continuera à secourir malgré les violences. » Et quand on lui demande s’il a un message à transmettre au monde, il poursuit : “Gaza envoie des messages au monde tous les jours et personne n’y répond. C’est probablement parce que les Palestiniens ne sont pas des êtres humains. Nous sommes hors humanité. Nous avons bien compris le message de notre côté », déclare-t-il d’une voix tremblante.