L’économiste Shir Hever explique comment la mobilisation pour la guerre à Gaza a soutenu une « économie zombie » qui semble fonctionner, mais qui est dépourvue de toute perspective d’avenir (traduction de larges extraits d’une interview réalisée par le site israélien +972)
+972 : Depuis octobre 2023, Israël est confronté à une convergence de chocs économiques. Des dizaines de milliers d’habitants ont été déplacés des régions frontalières du sud et du nord en raison des hostilités avec le Hamas et le Hezbollah, tandis que des centaines de milliers de réservistes ont été retirés du marché du travail pour de longues périodes, entraînant des pénuries de personnel dans des secteurs clés et une baisse de la productivité. Les services publics, l’éducation et la santé se sont détériorés, les dépenses publiques étant réorientées vers l’effort de guerre, et près de 50.000 entreprises ont fait faillite. (...)
Un rapport annuel sur la pauvreté, publié le 8 décembre par l’ONG israélienne Latet, souligne la gravité de la crise sociale. (...)
et environ un quart des bénéficiaires de l’aide sont de « nouveaux pauvres » plongés dans la précarité au cours des deux dernières années.
Pourtant, dans le même temps, l’économie israélienne a également fait preuve de résilience. (...)
Pour comprendre ces signaux apparemment contradictoires – marchés en plein essor et difficultés socio-économiques croissantes – il est nécessaire d’aller au-delà des indicateurs traditionnels. Dans l’interview qu’a réalisée le site +972, Shir Hever, chercheur en économie israélien et militant du BDS, affirme qu’Israël fonctionne désormais dans ce qu’il appelle une « économie zombie », maintenue à flot par des dépenses militaires massives, le crédit étranger et le déni politique. (...)
Le problème économique d’Israël est complexe. Premièrement, la productivité est directement affectée par le déplacement de dizaines de milliers de ménages vivant près des frontières avec Gaza et le Liban, ainsi que par les dommages directs causés par les missiles et les roquettes dans ces zones.
Deuxièmement, le recrutement de près de 300.000 réservistes pendant une période prolongée a entraîné une baisse notable du taux d’activité. Il a également anéanti d’innombrables jours investis dans la formation de ces travailleurs, alors même que les moyens de former et d’éduquer les remplaçants sont loin d’être optimaux.
Troisièmement, la classe moyenne israélienne instruite commence à envisager l’émigration, et des dizaines de milliers de familles ont déjà quitté le pays.
Quatrièmement, la crise financière : nombreux sont les Israéliens qui ont placé leurs économies à l’étranger par crainte de l’inflation, conjuguée à la dégradation de la notation de crédit d’Israël et donc à l’augmentation des taux auxquels il emprunte.
Alors que les ressources étaient détournées vers la guerre – les données gouvernementales elles-mêmes montrant que le gouvernement a acheté pour des dizaines de milliards de dollars d’armements à crédit – la qualité des services publics et de l’enseignement supérieur s’est considérablement dégradée. (...)
Enfin, et c’est un point crucial, l’image d’Israël est devenue désastreuse. (...)
Les entreprises israéliennes constatent que des partenaires commerciaux étrangers de longue date hésitent à poursuivre les affaires avec elles. (...)
Je parle d’économie zombie car c’est une économie qui continue de tourner, mais qui n’a pas conscience de sa propre crise ni de son effondrement imminent.
Une économie capitaliste repose sur l’idée d’un horizon futur constant. Un marché capitaliste ne peut exister sans investissement, et l’investissement consiste à investir aujourd’hui pour réaliser un profit demain. Or, en Israël, le gouvernement a adopté un budget déconnecté des dépenses réelles, ce qui a entraîné une explosion de la dette, et le projet de budget pour l’année prochaine est tout aussi illusoire.
Parallèlement, nombre de personnes parmi les plus talentueuses et les plus instruites quittent le pays car elles ne souhaitent pas y élever leurs enfants. (...)
Ainsi, si l’économie semble fonctionner en apparence, c’est en grande partie parce qu’une part importante de la population a été mobilisée pour le service de réserve : armée, équipée, nourrie et transportée pour soutenir l’effort de guerre. La guerre est la principale activité économique du gouvernement ; même deux mois après le prétendu cessez-le-feu décrété par Trump, aucun démobilisation massive des réservistes n’a eu lieu. (...)
nombre de ces réservistes n’auront tout simplement pas d’emploi à leur retour, car plus de 46 000 entreprises ont fait faillite pendant la guerre.
Il y a aussi l’aspect psychologique. Je ne suis pas en mesure de dire ce qui se passera lorsque ces personnes tenteront de reprendre une vie civile, mais l’impact risque d’être dramatique. Auront-elles recours à la violence au moindre prétexte, comme elles l’ont fait pendant des centaines de jours à Gaza ? Auront-elles besoin d’un soutien psychologique important pour gérer le traumatisme et la culpabilité ? On constate déjà de nombreux suicides parmi les soldats.
N’oublions pas que ces personnes n’ont pas pris le temps de se tenir au courant des évolutions de leurs professions et ont, au contraire, commis un génocide à Gaza, ce qui contribue également aux crises technologiques et éducatives. Les effectifs universitaires n’ont pas suivi la croissance démographique, ce qui signifie qu’Israël risque de devenir moins instruit à long terme.
Par ailleurs, il y a eu environ 250 000 Israéliens déplacés de leurs foyers situés près des frontières avec Gaza ou le Liban, qui ont vécu plus d’un an dans des hôtels. Ils vivent dans la crainte d’être rappelés à tout moment. Il est très difficile de trouver un emploi dans ces conditions, car leur indemnisation dépend de leur volonté de retourner dans leurs communautés d’origine. Autrement dit, ils doivent choisir entre obéir aux exigences du gouvernement ou renoncer à leur indemnisation et quitter le pays – ce que certains ont fait. (...)
on constate une différence entre les ménages qui maintiennent un niveau d’endettement relativement stable auprès des banques et paient des intérêts chaque mois, et ceux dont la dette augmente chaque mois, entraînant une hausse des intérêts, jusqu’à ce qu’ils soient contraints de vendre leurs biens. Ce dernier cas de figure s’est considérablement développé pendant la guerre.
Pendant ce temps, tout l’argent, tous les efforts et toutes les ressources de l’État sont consacrés à la guerre. Forcément, la population en ressent les conséquences. (...)
L’économie israélienne du génocide est-elle au bord du gouffre ? (...)
L’économiste Shir Hever explique comment la mobilisation pour la guerre à Gaza a soutenu une « économie zombie » qui semble fonctionner, mais qui est dépourvue de toute perspective d’avenir (traduction de larges extraits d’une interview réalisée par le site israélien +972) (...)
+972 : Depuis octobre 2023, Israël est confronté à une convergence de chocs économiques. Des dizaines de milliers d’habitants ont été déplacés des régions frontalières du sud et du nord en raison des hostilités avec le Hamas et le Hezbollah, tandis que des centaines de milliers de réservistes ont été retirés du marché du travail pour de longues périodes, entraînant des pénuries de personnel dans des secteurs clés et une baisse de la productivité. Les services publics, l’éducation et la santé se sont détériorés, les dépenses publiques étant réorientées vers l’effort de guerre, et près de 50.000 entreprises ont fait faillite. (...)
Un rapport annuel sur la pauvreté, publié le 8 décembre par l’ONG israélienne Latet, souligne la gravité de la crise sociale. (...)
et environ un quart des bénéficiaires de l’aide sont de « nouveaux pauvres » plongés dans la précarité au cours des deux dernières années.
Pourtant, dans le même temps, l’économie israélienne a également fait preuve de résilience. (...)
Pour comprendre ces signaux apparemment contradictoires – marchés en plein essor et difficultés socio-économiques croissantes – il est nécessaire d’aller au-delà des indicateurs traditionnels. Dans l’interview qu’a réalisée le site +972, Shir Hever, chercheur en économie israélien et militant du BDS, affirme qu’Israël fonctionne désormais dans ce qu’il appelle une « économie zombie », maintenue à flot par des dépenses militaires massives, le crédit étranger et le déni politique. (...)
Le problème économique d’Israël est complexe. Premièrement, la productivité est directement affectée par le déplacement de dizaines de milliers de ménages vivant près des frontières avec Gaza et le Liban, ainsi que par les dommages directs causés par les missiles et les roquettes dans ces zones.
Deuxièmement, le recrutement de près de 300.000 réservistes pendant une période prolongée a entraîné une baisse notable du taux d’activité. Il a également anéanti d’innombrables jours investis dans la formation de ces travailleurs, alors même que les moyens de former et d’éduquer les remplaçants sont loin d’être optimaux.
Troisièmement, la classe moyenne israélienne instruite commence à envisager l’émigration, et des dizaines de milliers de familles ont déjà quitté le pays.
Quatrièmement, la crise financière : nombreux sont les Israéliens qui ont placé leurs économies à l’étranger par crainte de l’inflation, conjuguée à la dégradation de la notation de crédit d’Israël et donc à l’augmentation des taux auxquels il emprunte.
Alors que les ressources étaient détournées vers la guerre – les données gouvernementales elles-mêmes montrant que le gouvernement a acheté pour des dizaines de milliards de dollars d’armements à crédit – la qualité des services publics et de l’enseignement supérieur s’est considérablement dégradée. (...)
Enfin, et c’est un point crucial, l’image d’Israël est devenue désastreuse. (...)
Les entreprises israéliennes constatent que des partenaires commerciaux étrangers de longue date hésitent à poursuivre les affaires avec elles. (...)
Je parle d’économie zombie car c’est une économie qui continue de tourner, mais qui n’a pas conscience de sa propre crise ni de son effondrement imminent.
Une économie capitaliste repose sur l’idée d’un horizon futur constant. Un marché capitaliste ne peut exister sans investissement, et l’investissement consiste à investir aujourd’hui pour réaliser un profit demain. Or, en Israël, le gouvernement a adopté un budget déconnecté des dépenses réelles, ce qui a entraîné une explosion de la dette, et le projet de budget pour l’année prochaine est tout aussi illusoire.
Parallèlement, nombre de personnes parmi les plus talentueuses et les plus instruites quittent le pays car elles ne souhaitent pas y élever leurs enfants. (...)
Ainsi, si l’économie semble fonctionner en apparence, c’est en grande partie parce qu’une part importante de la population a été mobilisée pour le service de réserve : armée, équipée, nourrie et transportée pour soutenir l’effort de guerre. La guerre est la principale activité économique du gouvernement ; même deux mois après le prétendu cessez-le-feu décrété par Trump, aucun démobilisation massive des réservistes n’a eu lieu. (...)
nombre de ces réservistes n’auront tout simplement pas d’emploi à leur retour, car plus de 46 000 entreprises ont fait faillite pendant la guerre.
Il y a aussi l’aspect psychologique. Je ne suis pas en mesure de dire ce qui se passera lorsque ces personnes tenteront de reprendre une vie civile, mais l’impact risque d’être dramatique. Auront-elles recours à la violence au moindre prétexte, comme elles l’ont fait pendant des centaines de jours à Gaza ? Auront-elles besoin d’un soutien psychologique important pour gérer le traumatisme et la culpabilité ? On constate déjà de nombreux suicides parmi les soldats.
N’oublions pas que ces personnes n’ont pas pris le temps de se tenir au courant des évolutions de leurs professions et ont, au contraire, commis un génocide à Gaza, ce qui contribue également aux crises technologiques et éducatives. Les effectifs universitaires n’ont pas suivi la croissance démographique, ce qui signifie qu’Israël risque de devenir moins instruit à long terme.
Par ailleurs, il y a eu environ 250 000 Israéliens déplacés de leurs foyers situés près des frontières avec Gaza ou le Liban, qui ont vécu plus d’un an dans des hôtels. Ils vivent dans la crainte d’être rappelés à tout moment. Il est très difficile de trouver un emploi dans ces conditions, car leur indemnisation dépend de leur volonté de retourner dans leurs communautés d’origine. Autrement dit, ils doivent choisir entre obéir aux exigences du gouvernement ou renoncer à leur indemnisation et quitter le pays – ce que certains ont fait. (...)
on constate une différence entre les ménages qui maintiennent un niveau d’endettement relativement stable auprès des banques et paient des intérêts chaque mois, et ceux dont la dette augmente chaque mois, entraînant une hausse des intérêts, jusqu’à ce qu’ils soient contraints de vendre leurs biens. Ce dernier cas de figure s’est considérablement développé pendant la guerre.
Pendant ce temps, tout l’argent, tous les efforts et toutes les ressources de l’État sont consacrés à la guerre. Forcément, la population en ressent les conséquences. (...)