
Israël a-t-il le droit d’empêcher l’UNRWA, l’Office des Nations unies pour les réfugiés de Palestine, d’opérer dans les Territoires palestiniens occupés ? La question a été soumise la semaine dernière par l’Assemblée générale de l’ONU à la Cour internationale de justice (CIJ), le principal organe judiciaire des Nations unies. L’avis consultatif de la Cour, à la portée symbolique importante sur le plan juridique, sera rendu dans quelques mois. Mais il ne produira d’effet concret qu’avec une mobilisation des États. Alors, cet avis peut-il réellement peser ? Éléments de réponse avec Johann Soufi, avocat spécialisé en droit international et ancien chef du bureau juridique de l’UNRWA à Gaza.
Fin octobre, deux projets de lois sont adoptés à une écrasante majorité par les parlementaires israéliens (92 pour, 10 contre) : ils visent à interdire tout contact des autorités israéliennes avec l’UNRWA et à l’empêcher d’opérer en Israël comme dans les Territoires palestiniens occupés. La loi sur l’interdiction de l’agence onusienne "constitue une première dans l’histoire des Nations Unies et du droit international" et " va à l’encontre de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies de 1946, à laquelle Israël est partie", explique le Centre régional d’information pour l’Europe occidental des Nations unies sur son site.
En réponse, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté en décembre dernier une résolution demandant à la CIJ de se prononcer sur « les obligations d’Israël, en tant que puissance occupante et membre de l’ONU, en ce qui concerne la présence et les activités de l’Organisation y compris ses organismes et organes, d’autres organisations internationales (…) dans le Territoire palestinien occupé ». Les audiences, auxquelles près de 40 pays ont participé, se sont donc tenues la semaine dernière, à La Haye, aux Pays-Bas, quelques jours seulement après que le Programme alimentaire mondial a affirmé avoir épuisé tous ses stocks de nourriture à Gaza.
Contexte : un blocus qui dure depuis plus de deux mois (...)
« Les autorités israéliennes ont transformé Gaza en un enfer de mort et de destruction sans pitié. Il s’agit d’un génocide en action » , affirmait la semaine dernière Erika Guevara Rosas, directrice du programme Recherche, plaidoyer, politique et campagnes à Amnesty International.
Israël a choisi de ne pas participer aux audiences de la CIJ, se contentant d’une déclaration écrite. Son ministre des Affaires étrangères, Gideon Saar, a justifié ce choix en affirmant que son gouvernement avait décidé de « ne pas prendre part à ce cirque », qualifiant la procédure de « persécution systématique et de délégitimation d’Israël ». (...)
Cette semaine d’audience a mis en lumière à la fois la volonté des Etats d’accroître la pression internationale sur Israël, mais aussi ce que Johann Soufi décrit comme « une forme d’impuissance » des États, « qui en sont toujours réduits à renvoyer la question devant la Cour internationale de justice dans le cadre d’une procédure consultative », sans effet direct, faute de volonté politique de mettre en œuvre ses précédentes décisions. S’ils ne sont pas contraignants, les avis consultatifs de la CIJ restent néanmoins "très importants", explique Johann Soufi, en ce qu’ils permettent de clarifier l’interprétation du droit international et d’influencer les représentations médiatiques et politiques du conflit. (...)
« oui, il est totalement légitime de parler d’un risque de génocide à Gaza, parce que la CIJ l’a reconnu (...) - de manière unanime ou quasi unanime - dans des termes très clairs » (...)
L’avocat pointe aussi une forme de fracture entre les pays occidentaux et ceux du « Sud global », qui n’hésitent pas à mettre des mots sur ce qui se passe à Gaza aujourd’hui : crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide. « Une partie du Nord, et notamment des États européens, restent encore réticents à utiliser des termes qui sont pourtant juridiquement appropriés », explique Johann Soufi. Dans le cas d’Israël, les alliances politiques avec certaines puissances mondiales permettent un renversement du narratif. (...)
A l’exception des États-Unis et de la Hongrie, Johann Soufi reconnaît « un discours clair » et une forme de « consensus de la communauté internationale », qui s’accorde sur le fait qu’Israël viole le droit international humanitaire et que « l’Unrwa est un acteur indispensable de la survie de la population palestinienne de Gaza, et aussi une incarnation institutionnelle de l’histoire de la Nakba et de l’identité collective palestinienne – un aspect essentiel d’une résolution politique du conflit à moyen et long terme ».
L’avis de la CIJ est attendu dans plusieurs mois : Johann Soufi rappelle que « le temps de la justice n’est pas celui de l’humanitaire ou de l’action politique ». Et sans la coopération des États, il n’aura qu’un poids symbolique et juridique, sans effets concrets sur le terrain. Aujourd’hui, l’urgence est bien ailleurs : la famine s’intensifie, les crimes perdurent et l’UNRWA demeure paralysée. La situation humanitaire à Gaza est « intenable », pour reprendre les mots de la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, prononcés hier lors d’un entretien téléphonique avec le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Saar. Cette dernière a demandé une reprise "immédiate" de l’aide humanitaire. Un appel lui aussi vain ?