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Mediapart
Génocide des Tutsis : Hubert Védrine, le bâillon en bandoulière
#Rwanda #genocide #HubertVedrine
Article mis en ligne le 11 avril 2024
dernière modification le 9 avril 2024

Depuis trente ans, l’ancien secrétaire général de l’Élysée multiplie les actions en justice mais aussi les interventions médiatiques dès lors qu’il est mis en cause dans la gestion du dossier rwandais en 1994. Et n’hésite pas à lancer de fausses accusations contre des journalistes.

(...) le 25 mars dernier, devant les juges de la 17e chambre du tribunal de Paris, Hubert Védrine affirme ne pas avoir « une doctrine de poursuite » mais que « trop, c’est trop », raison pour laquelle il attaque pour « complicité de diffamation publique envers particulier » le journaliste Patrick de Saint-Exupéry.

(...) Le 3 mars 2021, invité par Mediapart dans l’émission « À l’air libre » pour la sortie de son livre La Traversée (Les Arènes), l’ancien reporter du Figaro, un des premiers journalistes à avoir mis en cause la France dans le génocide des Tutsi·es, qui a fait près de 1 million de morts entre le 6 avril et le 15 juillet 1994, s’en prend violemment à l’ancien secrétaire général de l’Élysée (de 1991 à 1995).

Selon Patrick de Saint-Exupéry, Hubert Védrine est un « négationniste », qu’il compare à Robert Faurisson (négationniste de la Shoah). Il lui reproche de relayer depuis trente ans la thèse du « double génocide ». Pour lui, les propos de l’ancien ministre sont même comparables à ceux de Théoneste Bagosora, le « cerveau » du génocide, qui a nié son existence durant son procès au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), admettant du bout des lèvres « des massacres excessifs ». (...)

La thèse du double génocide, interrogée dès novembre 1994 par François Mitterrand, entend minimiser celui, avéré, perpétré contre les Tutsi·es au Rwanda, en invoquant d’autres massacres dans l’est du Congo, qui auraient fait 3 à 4 millions de morts depuis 1994. En d’autres termes, si génocide des Tutsi·es il y a eu, un génocide des Hutu·es aurait également eu lieu.

Le génocide dans l’est du Congo n’a jamais été prouvé. Mais pour Hubert Védrine, « l’histoire est une révision permanente », comme il l’a affirmé devant les sénatrices et sénateurs français en 2020. (...)

S’il se défend de relayer la thèse du double génocide, il refuse aussi de la condamner parce que, dit-il, il n’est « pas juge » et n’a « pas les éléments » pour qualifier les massacres au Congo. La porte est toujours laissée ouverte.

Le défenseur permanent de la politique française au Rwanda

Minimiser son pouvoir en 1994 est un autre point de la stratégie de l’ancien secrétaire général de l’Élysée pour se décharger de toute responsabilité. Il était pourtant le deuxième destinataire des télégrammes après le président de la République (...)

Et, contrairement à ce qu’il a affirmé devant les juges le 25 mars, les procédures qu’il a intentées ou dans lesquelles il apparaît ne sont pas rares. Depuis trente ans, le gardien du temple mitterrandien (il a été le président de l’Institut François-Mitterrand de 2003 à 2022) se fait le défenseur permanent de la politique française au Rwanda, écrivant aux rédactions, appelant les patrons de journaux, demandant des droits de réponse ou attaquant en justice les voix qui le mettent en cause.

En 2019, l’ancien ministre des affaires étrangères de Lionel Jospin (de 1997 à 2002) avait attaqué l’humanitaire et militante socialiste Annie Faure. Cette année-là, sur France Info, la pneumologue, présente au Rwanda en 1994 avec l’ONG Médecins du monde, avait accusé Hubert Védrine d’avoir « accepté ou fermé les yeux » sur la livraison d’armes aux génocidaires pendant le génocide, et elle avait interrogé « la complicité » des responsables socialistes de l’époque dans le drame rwandais.

Quelques jours plus tard, invité sur France Inter pour un tout autre sujet, Hubert Védrine avait répondu à Annie Faure et déclaré se réserver « la possibilité d’en tirer toutes les conséquences ». Convaincus de la bonne foi de la docteure, les juges ont débouté l’ancien diplomate en mai 2023. Il n’a pas fait appel et martèle, depuis, que le tribunal a conclu à une erreur de jugement d’Annie Faure – ce qui l’exonérerait de toute responsabilité. (...)

Quelques semaines avant ce verdict, le 13 mars 2023, la question des livraisons d’armes par la France était au cœur d’une autre audience devant le tribunal de Paris, sur laquelle l’ombre d’Hubert Védrine planait déjà. (...)

Des allégations sans preuves

Lors de notre enquête, plusieurs journalistes ont confié avoir été la cible des interventions quasi systématiques d’Hubert Védrine dès qu’un article le cite ou le met en cause. Ses droits de réponse sont réguliers, jusqu’à très récemment : en juillet 2021, dans Mediapart, après une interview de l’auteur franco-rwandais Gaël Faye, ou encore en juillet 2023, dans Libération, après un article sur le procès d’Annie Faure.

Il sait aussi s’ingérer de manière plus directe. Dans Ils parlent, Hubert Védrine se vante d’avoir « pas mal de copains dans les médias » et de parler avec eux des accusations dont il est l’objet par certains journalistes, (...)

Son interventionnisme peut aller jusqu’à inventer des faits qui n’ont jamais existé pour porter atteinte à la réputation des journalistes. (...)

Les attaques d’Hubert Védrine laissent des traces. Pendant quatre ans, Annie Faure explique n’avoir « pensé qu’à ça » tous les jours. Et, lors du procès, elle raconte s’être sentie « rabaissée en permanence ». Son avocat, Antoine Comte, se souvient : « Il n’a jamais explicitement dit les choses mais il a eu une attitude extrêmement paternaliste. C’est comme s’il estimait que ma cliente était trop sensible pour comprendre des décisions politiques qui nécessiteraient du sang-froid, même s’il a répété qu’il n’était pas, pour autant, insensible aux événements. » « À la fin des auditions, se remémore Annie Faure, l’avocat de Védrine m’a glissé : “Ça fait vingt-neuf ans, il faut oublier maintenant”… Je n’en suis pas revenue. Comment oublier un génocide ? »