
Centres surpeuplés, transferts au compte-goutte, mineurs non reconnus : l’hébergement des exilés reste un défi de taille pour Madrid, malgré un discours allant dans le sens de l’accueil. Une situation aujourd’hui dans l’impasse, le dialogue entre les différents décisionnaires politiques étant quasiment rompu.
Centres surpeuplés, transferts au compte-goutte, mineurs non reconnus : l’hébergement des exilés reste un défi de taille pour Madrid, malgré un discours allant dans le sens de l’accueil. Une situation aujourd’hui dans l’impasse, le dialogue entre les différents décisionnaires politiques étant quasiment rompu. (...)
En 2024, plus de 63 000 migrants sont arrivés en Espagne, dont 47 000 aux Canaries, un record.
Hommes et femmes seuls, familles, ou mineurs isolés, originaires d’Afrique subsaharienne, du Maghreb ou du Pakistan, les profils comme les nationalités de ces personnes en quête d’un avenir meilleur sont divers. Mais toutes sont intégrées, à leur arrivée en Espagne, dans le système d’accueil du pays. À contrepied des discours européens prônant un contrôle toujours plus accru de l’immigration, Madrid a fait le choix de l’ouverture. Pour le Premier ministre Pedro Sánchez, "l’immigration est synonyme de richesse". "Notre devoir aujourd’hui, surtout maintenant, est d’être cette société accueillante, tolérante et solidaire", a-t-il déclaré devant le Parlement en octobre.
Malgré cette volonté affichée, les défis subsistent, notamment dans le dispositif d’hébergement.
"Nous sommes débordés"
Écueil principal : la surpopulation dans les centres d’accueil d’urgence. Aux Canaries, les autorités peinent à faire face lorsque les débarquements sont trop nombreux. (...)
Désaccords politiques
Si l’ouverture de petites structures d’accueil permet, pour un temps, d’apaiser les tensions, elle reste une solution à court terme. La priorité, pour les gouvernements régionaux des Canaries, de Ceuta et des Baléares, est l’accélération des transferts sur la péninsule. Pour répondre à leurs attentes, le gouvernement central a proposé en juillet une réforme l’article 35 de la loi Immigration. Objectif ? Rendre obligatoire l’accueil des mineurs non accompagnés dans les différentes structures du pays, lorsqu’un territoire dépasse 150 % de sa capacité d’accueil.
Aux Canaries, entre 4 000 et 5 000 migrants mineurs sont quotidiennement pris en charge dans l’archipel, pour une capacité de 2 000 places. (...)
Mais depuis des mois, les rencontres et réunions s’enchaînent, sans résultats concrets. Les désaccords politiques entre le gouvernement - dirigé par une coalition de centre gauche composée du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), du Parti des socialistes de Catalogne (PSC) et de l’alliance Sumar (SMR) - et les régions espagnoles, en majorité dirigées par le Parti populaire (PP) conservateur, empêchent toute issue favorable à la répartition des jeunes exilés.
"Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la droite dans son ensemble est favorable à la répartition, qu’elle considère comme un devoir de solidarité, avait expliqué cet été Benoît Pellistrandi, historien spécialiste de l’Espagne contemporaine. Mais certains présidents de région du PP ont été élus avec le soutien de Vox, d’extrême-droite, vent debout contre la réforme et qui surfe sur la question migratoire pour séduire les électeurs. C’est cette compétition au sein des droites qui peut entraver le compromis". (...)
Pour Élisa Brey, cette paralysie empêche le gouvernement d’aller plus loin dans sa politique migratoire. "Dans le contexte actuel, les autorités sont plutôt dans la gestion ’quantitative’ des exilés, et non ‘qualitative’. La diversité des profils et leurs besoins spécifiques ne sont pas pris en compte. Cela laisse de nombreuses personnes sur le carreau : des femmes victimes de traite ne sont pas reconnues comme telles, des mineurs passent pour des adultes. Avec toutes les conséquences néfastes que cela engendre".
L’année dernière, plusieurs cas de jeunes migrants se disant mineurs, et traités comme majeurs ont été mis en lumière dans la presse espagnole. B.C., un Sénégalais de 17 ans accusé par la justice d’avoir conduit un canot, a été incarcéré durant trois mois dans un centre pour adultes. Il avait finalement été libéré, après un examen médico-légal, qui ne permettait pas d’affirmer avec "certitude que le sujet est majeur", avait estimé le juge.
Daniel Arencibia, avocat en droit des étrangers, avait constaté auprès d’InfoMigrants une multiplication de ce type d’affaires de ce type et regrettait "beaucoup d’erreurs pour déterminer l’âge" d’un migrant. (...)