
En 2023, le gouvernement a ouvert dix « sas d’accueil temporaire » en région pour accueillir les migrants franciliens. Parfois au détriment d’autres publics ou sur des terrains pollués. Et selon un bilan exclusif, le dispositif est un échec. Enquête.
Seine-Saint-Denis, 26 avril 2023 – Le jour se lève à peine sur l’ancienne cimenterie Unibéton qui héberge près de 500 hommes, femmes et enfants venus de Somalie, de Guinée, du Nigeria ou du Tchad. Ce squat, ouvert en 2020 en pleine crise sanitaire, est probablement le plus gros d’Île-de-France. Situé sur l’Île-Saint-Denis, il est à deux pas du futur village des athlètes des Jeux olympiques de Paris. La menace d’expulsion qui plane sur le squat depuis février est mise à exécution à l’aube.
Sous le regard stoïque des forces de l’ordre, des cars attendent les centaines de personnes présentes pour emmener les volontaires, quel que soit leur statut administratif, dans l’un des dix « sas d’accueil temporaire régionaux » ouverts en province : Lyon, Marseille, Strasbourg, Toulouse, Bordeaux, Rennes, Besançon, Rouen, Angers et Orléans. En montant dans les véhicules, les personnes ne savent pas forcément quel sera leur terminus. La destination n’est pas affichée sur les cars, parfois scandée à l’oral par les membres de l’association France terre d’asile, mandatée par l’État pour cette tâche. Là-bas, ils restent trois semaines avant d’être réorientés, selon leur situation, vers une autre structure ou le 115, numéro de l’hébergement d’urgence. Chaque semaine, 50 migrants franciliens arrivent dans ces dix sas.
Cette volonté de « desserrer la pression » sur l’Île-de-France, qui accueille 50% des demandes d’asile, n’est pas nouvelle. Un schéma national tente un « rééquilibrage territorial » depuis 2021. Mais envoyer par bus les migrants franciliens à des centaines de kilomètres de là est assez inédit. D’autant que les conditions de vie de ces sas recensés par StreetPress sont parfois problématiques : les migrants peuvent être placés dans les hôtels miteux de parcs d’activités glauques, dans des lieux qui étaient dédiés à d’autres populations ou même sur des terrains pollués. (...)
« Désengorger » discrètement l’Île-de-France
Ce dispositif d’envergure a été mis en place au printemps 2023, discrètement. (...)
Aussitôt, les associations et collectifs d’aide aux migrants font part de leurs inquiétudes, et pointent du doigt le timing choisi. La Coupe du monde de rugby est alors dans six mois, et les Jeux olympiques parisiens dans un peu plus d’un an. (...)
Gabriel, membre du collectif des migrants de Strasbourg, connaît bien le dernier endroit. Il résume :
« Un hôtel miteux très difficile d’accès. Il y a un bus qui passe une fois par heure, et pas tout le temps, qui vous dépose à l’entrée d’un chemin lugubre. Il faut marcher 15 minutes le long de l’autoroute. »
« C’est devenu une sorte de salle d’attente, entre un foyer du 115, un centre de retour volontaire et un Centre de rétention administrative (Cra) », (...)
Opacité autour des dix sas (...)
Des sas « à plein régime » et 46% des migrants orientés sur le 115 (...)
Au terme du délai de trois semaines de sas, que deviennent ces gens ? Plusieurs hommes d’Unibéton ont atterri dans le sas de Toulouse. À leur sortie, au bout de trois semaines, ils ont été envoyés à Nîmes (30), où ils ont été hébergés une nuit avant de retourner sur le trottoir. Ils sont donc revenus à Paris. (...)
D’après Utopia 56, environ un quart des personnes envoyées en sas reviennent dans la capitale. Ce ne serait pas le cas pour le sas de Rennes-Montgermont indique Fabien Belliarde, le directeur de l’asso’ qui gère le lieu. Pour lui, « le dispositif fait ses preuves », sans orientation sur le 115 ni retour à Paris pour le moment (...)
Un prolongement et une augmentation ?
Malgré ce bilan peu encourageant, l’ouverture des sas a été prolongée jusqu’à fin décembre 2024, « avec montée en charge progressive ». (...)
Certains acteurs associatifs redoutaient que ces sas ne deviennent des « antichambres de l’expulsion ». D’après les chiffres de la DGEF en date du 15 novembre, « quelques » OQTF ont été prononcées. Dans la circulaire ministérielle de mars 2023, les ministères de l’Intérieur et du Logement insistaient sur leur volonté « d’inciter au retour volontaire », et prévoyaient une « refonte » de l’aide au retour volontaire pour « rendre le dispositif plus incitatif ». Au 15 novembre, seules 12 personnes ont accepté, toujours d’après les chiffres de la DGEF que StreetPress s’est procuré. Soit 0,5% des personnes qui sont passées par les sas. (...)
Pour dénoncer l’opacité du dispositif et faire part de leurs inquiétudes, 80 associations et collectifs – tels que Médecins du monde, Utopia56, Action contre la faim, Romeurope ou encore Paris d’Exil – ont monté le collectif « Revers de la médaille » fin octobre. Tous comptent bien continuer à réclamer un hébergement digne et pérenne pour les migrants franciliens, Jeux olympiques ou non. (...)