Le décret « sanctions » concernant le RSA est entré en vigueur cet été. Depuis, des allocataires font face à des exigences accrues de la part de France Travail et des départements. Un système de contrôle « abusif et déroutant », dénoncent des bénéficiaires.
42 ans, Marie n’avait pas imaginé qu’elle devrait demander à son père, octogénaire, d’écrire une lettre manuscrite indiquant qu’il était bien à l’origine d’un virement récurrent de 38,11 euros sur son compte bancaire. Une lettre à accompagner d’une copie de sa carte d’identité et à adresser au département, qui gère le versement du revenu de solidarité active (RSA). Même procédure pour justifier le remboursement d’un prêt d’une centaine d’euros à une amie.
Marie est agricultrice dans la presqu’île de Crozon (Finistère) ; elle perçoit le RSA en complément du revenu tiré de son exploitation. La somme oscille entre 100 et 500 euros, en fonction de la prime pour l’emploi. À ce titre, le département lui réclame de justifier la moindre ligne de ses relevés de compte. Depuis l’été, elle le sent, les contrôles se durcissent.
Elle en veut pour preuve les courriers qu’elle reçoit dans le cadre du « contrôle du juste droit au RSA ». À chaque fois, des dizaines de lignes d’opérations bancaires à justifier une par une. Des copies de documents lui sont demandées : bilan comptable et compte de résultat du dernier exercice de son exploitation, relevés bancaires professionnels, livret d’épargne et livret A des années 2023 et 2024… À chaque fois, des relevés « probants » sont exigés. (...)
« Plutôt à l’aise » avec la chose administrative, l’agricultrice commence toutefois à perdre patience face à cette surenchère. « J’envoie les documents réclamés, j’en suis au quatrième courrier. La dernière fois, j’ai envoyé un dossier de cinquante pages, ils ont tout épluché. »
Avant son entrée en vigueur, il y a presque un an, les associations de solidarité avaient alerté : la loi dite « plein emploi » risquait de fragiliser les allocataires du RSA. Le décret « sanctions » reste particulièrement décrié. Entré en vigueur le 31 mai, il conditionne l’obtention et le maintien du RSA à la réalisation de quinze heures d’activité hebdomadaire. Mais en dehors même de cette disposition, les contrôles et demandes de documents justificatifs s’accroissent. (...)
Fin octobre, les associations et syndicats ont formulé un recours contre ce volet spécifique. (...)
« C’est une violence institutionnelle, c’est d’abord du contrôle pour ensuite forcer les gens à prendre n’importe quel boulot. On est clairement dans l’idéologie libérale et patronale, qui juge que ceux qui ne travaillent pas sont des fainéants. Et là, effectivement, ils ont décidé de taper du poing. »
Une atmosphère inquisitrice (...)
« Le 31, j’ai fait ça vite. Au lieu d’envoyer les extraits de compte, j’ai envoyé les impôts. » Quatre jours plus tard, la sanction tombe : radiation immédiate. « Ils ne m’ont pas dit : “Vous vous êtes trompée, renvoyez les bons documents.” Ils ont juste clos le dossier. » Une absence de droit à l’erreur qu’elle juge incompréhensible. « Partout ailleurs, même aux impôts, on peut se tromper. À France Travail aussi. Mais au RSA, non. »
Sans comprendre comment, elle continue pourtant de recevoir une somme d’argent, et la Caisse d’allocations familiales lui indique qu’elle n’est pas radiée. Finalement, le droit à l’erreur a fonctionné, et elle a pu fournir les documents demandés. « Ça m’a donné un gros coup de stress, je ne dors plus. »
Seulement, Catherine doit de nouveau fournir de nouvelles pièces comme la copie des statuts de son association, ses derniers bulletins de salaires de 2025 ou les copies des relevés bancaires de l’ensemble de ses comptes depuis le printemps. Et ceci avant Noël. Des requêtes sans fin pour elle. (...)
Outre les conséquences sur les allocataires, Vincent Lalouette, le responsable syndical, souligne que la pression exercée rejaillit aussi sur les conseillers et conseillères de France Travail chargé·es de la mise en œuvre de ces contrôles. « Cela crée des problèmes éthiques chez les collègues, dit-il. Ils ne sont pas entrés à France Travail pour contrôler les chômeurs mais pour essayer de leur trouver un projet professionnel. Mais là, on a changé de paradigme. C’est-à-dire qu’on est désormais passés à du contrôle administratif, plutôt que de s’occuper directement des gens qui en ont vraiment besoin. »
Des politiques variables selon les départements
D’un département à l’autre, l’approche change, certains se révélant plus souples dans l’application du volet sanctions. (...) (...)
« L’État veut nous faire penser qu’on ne serait pas dans notre droit, qu’on est des voleurs d’argent public, poursuit-elle. C’est un État déshumanisé où personne ne se présente, où personne n’est responsable de rien. C’est pour cette raison qu’il faut se battre. »
Catherine pense que le contrôle poussé qu’elle a subi l’a mise aussi dans le radar de France Travail. Là-bas, on lui a dit qu’à compter de janvier elle devrait venir dans les locaux trois heures le matin, cinq jours par semaine. Une manière de réaliser les quinze heures d’activité hebdomadaire prévues par la loi. « Je travaille parfois le matin pour mes ateliers et, le reste du temps, je prospecte déjà », explique-t-elle, désemparée face à cette contrainte supplémentaire. Elle s’est résolue à prendre « n’importe quel travail » dans l’attente de projets musicaux à venir.
« C’est une catastrophe. On bascule dans un État de non-droit. »