
Un agriculteur qui veut planter du maïs ne peut qu’acheter des semences « hybrides », propriété des semenciers. Mais une alternative existe maintenant : le programme « l’Aquitaine cultive la biodiversité » développe les maïs paysans — dits « population » - et sans brevet...
– Le Change (Dordogne), reportage
Solidement planté devant l’enfilade de rangées de maïs, Bertrand Lassaigne est intarissable. Chaque maïs a son petit nom, son histoire. « Le ruffec, c’est un agriculteur charentais qui nous l’a apporté », commente-t-il devant un alignement de plants. De petits panneaux indiquent le nom et décrivent les variétés. « Le coussarin, il vient du Périgord, poursuit-il. Et le lavergne, c’est moi qui l’ai créé. En 2003, j’ai planté un mélange de variétés qui me plaisaient. Puis, d’année en année, j’ai sélectionné les meilleurs épis. Aujourd’hui, il s’adapte à beaucoup de régions, résiste bien à la sécheresse et donne des rendements constants. » (...)
Chaque année, en septembre, le programme « l’Aquitaine cultive la biodiversité » invite agriculteurs et curieux à visiter cette plateforme expérimentale, située sur la ferme de Bertrand, au Change, en Dordogne. (...)
« En quinze ans plus de mille agriculteurs ont reçu des semences grâce au programme »
La récolte aura lieu dans un ou deux mois et on peut observer les épis déjà formés. En les libérant de leur épaisse enveloppe de feuilles, on découvre des grains de toutes les couleurs, allant du jaune classique au rouge, noir, ou même blanc. Ce printemps, une soixantaine de variétés ont été semées, chacune sur quelques rangées. (...)
« On n’a pas irrigué, on pourra ainsi sélectionner les maïs les plus résistants à la sécheresse. » (...)
« Je me suis dit que je ne trouverai pas de semences paysannes de maïs en France. Comme dans une autre vie j’étais allé au Guatemala, je suis allé rechercher des graines là-bas. » Il revient avec une dizaine de variétés, qui, non adaptées au terroir, ne donnent pas grand-chose… Mais la curieuse initiative intéresse, le bouche-à-oreille fait le reste et les papys du coin sortent les semences de leur jeunesse, conservées dans les jardins et les potagers. C’est ainsi que la collecte commence, complétée par des graines sorties des frigos de l’Inra (Institut national de la recherche scientifique), et des maïs venus d’ailleurs. Du pays de la polenta, l’Italie, d’Espagne, du Portugal, de Roumanie pour l’Europe, mais aussi d’Amérique latine, même de Birmanie, d’Irak ou du Maroc. (...)
« Aujourd’hui, on estime qu’en quinze ans plus de mille agriculteurs ont reçu des semences grâce au programme », dit Élodie Gras, animatrice technique chez Agrobio Périgord, l’association qui soutient le programme de développement des maïs population. « Une centaine ont été collectées et une quarantaine sont vraiment cultivées. » Pour diffuser ces semences qu’il est interdit de vendre, échanger et même donner, il a fallu trouver une faille juridique : les agriculteurs reçoivent les semences pour expérimentation. « Puis, une fois qu’elles sont sur leur ferme, ils peuvent les multiplier et les ressemer comme ils le souhaitent, cela n’est pas interdit ! » explique Élodie. (...)
Deuxième invité de la journée, le sélectionneur suisse de semences bio Peter Kunz. Le scientifique a voulu « ouvrir la génétique privatisée par les grandes maisons semencières ». À partir de 20 variétés de maïs hybride qu’il a « craquées », il a créé une variété de maïs population. « Son rendement est le même que celui des maïs hybrides utilisés pour la constituer, dit-il. Et désormais, toute cette ressource génétique est à la disposition des paysans et de tous ceux qui voudraient la sélectionner, l’adapter à un climat ou un terroir. » (...)
Depuis quinze ans que l’aventure du maïs population a commencé dans cette ferme, elle a essaimé avec des groupes de recherche participative en Pays de la Loire, Rhône-Alpes ou encore Poitou-Charentes. Reste que l’association a toujours du mal à défendre son action, dépendante des subventions publiques. Elle a dû faire un audit pour prouver l’utilité de son activité. Bilan : « On fait déjà beaucoup avec ce qu’on a, et on aurait pu faire beaucoup plus si on avait eu plus ! » se félicite Élodie Gras. Pourtant, « il va falloir mettre la pression pour que le programme continue. » (...)