
De passage à Paris, le leader paysan indien Rajagopal a rencontré Reporterre. Il explique pourquoi la lutte des paysans est un combat mondial, prépare une grande marche en 2020, évoque le rôle des institutions internationales dans l’accaparement des terres et explique la situation de l’Inde.
Rajagopal est un leader indien des paysans sans terre. Il a organisé plusieurs marches non-violentes pour faire reconnaître leurs droits. La dernière, « Jan Satyagraha » en 2012, avait réuni 100 000 manifestants et obtenu des concessions de la part du gouvernement.
Défendant les premiers acquis politiques de ces marches, il se projette sur la prochaine, qu’il souhaite universelle, à l’horizon 2020. Avec un objectif : un million de participants pour faire avancer la cause paysanne, en Inde et partout dans le monde.
Et un moyen pour lutter : porter une vision gandhiste de la non-violence à travers la constitution d’un grand mouvement social contre l’accaparement des terres.
Entretien exclusif. (...)
isparition des terres agricoles, suicides d’agriculteurs, le malaise paysan est un problème universel. Est-ce pour cela que vous souhaitez internationaliser votre mouvement de résistance ?
Au Brésil, qui est un pays grand comme deux fois l’Inde, j’ai vu des populations entières fuir les campagnes et vivre dans des bidonvilles. Et si l’Inde détient le triste record avec plus de 200 000 suicides de paysans, les problèmes se retrovent partout. C’est pour ça que nous voulons une lutte globale. Cela ne peut pas être fait uniquement par des combats en Inde, ce n’est pas assez. La prochaine marche de 2020 doit être une marche globale, qui réunira un million de personnes au moins.
Quel regard portez-vous sur la situation en France et en Europe ?
Je sens également beaucoup de frustrations par rapport au modèle de développement, qui a créé énormément de chômage. Vous avez permis à vos compagnies de partir à l’étranger, dans des pays comme l’Inde, pour exploiter les gens, au lieu d’exiger qu’elles rendent des comptes ici. La délocalisation, les paradis fiscaux, tout ça crée davantage de chômage.
A Notre-Dame-des-Landes, où j’étais il y a un an, comme en Normandie où je me suis rendu dans une zone paysanne, j’ai rencontré beaucoup d’agriculteurs mécontents. J’ai vu un énorme désir de retourner dans les campagnes, mais il n’y a plus de terres disponibles. Ils veulent pratiquer une agriculture à petite échelle, mais on ne promeut pas l’agriculture à petite échelle.
Je trouve aussi les gens préoccupés par la montée de la violence dans la société, beaucoup d’incidents touchent les jeunes. Les choses commencent à échapper au contrôle. (...)
A qui la faute incombe-t-elle ?
Un certain nombre d’institutions internationales, comme l’Union Européenne, l’OMC, la Banque Mondiale ou le FMI, ne s’occupent pas des marginalisés et des plus démunis. Elles organisent la concurrence entre tous les pays, qui se battent pour attirer les grandes multinationales à l’intérieur de leurs frontières.
Tout cela est orchestré par la Banque Mondiale, qui note les pays ; les compagnies vont investir là où la note est la plus haute, là où on leur offre un maximum d’avantages.
C’est l’exemple de la Politique agricole commune (PAC), qui doit être différente pour ne pas porter préjudice aux pays tiers. (...)