En frappant à la porte, Kurdistan Rassoul s’époumone : "Je sais que vous êtes là, je veux seulement vous parler !". A l’intérieur, deux fillettes pourraient bientôt subir une excision, une mutilation que cette Kurde d’Irak a elle-même subie et combat désormais au quotidien.
Si moins d’1% des Irakiennes ont été excisées, ce chiffre atteignait 58,5% en 2014 au Kurdistan, région autonome du nord du pays qui passe pourtant généralement pour plus protectrice des droits des femmes.
Selon l’Unicef, le nombre de victimes de mutilation génitale féminine (MGF) —ablation partielle ou totale des organes génitaux externes d’une femme— y est toutefois en baisse : l’excision concerne aujourd’hui 37,5% des Kurdes entre 15 et 49 ans.
Mais pour Kurdistan Rassoul, 35 ans et foulard rose sur la tête, ce chiffre est encore trop important. Elle visite donc sans relâche les villages de sa région, répétant inlassablement que l’excision peut provoquer infections et traumatismes.
Face à elle, hommes de religion et exciseuses à l’ancienne assurent que la branche dominante du sunnisme au Kurdistan —inexistante ou presque dans le reste de l’Irak— prône cette pratique.
Faux, réplique Mme Rassoul, qui contredit régulièrement les imams en expliquant que l’excision n’est pas une prescription religieuse mais plutôt une tradition passée de génération en génération sans fondement sanitaire ou moral. (...)
"Nous faisons changer les mentalités, donc c’est difficile", dans une société conservatrice, lâche-t-elle en s’éloignant à regret.
Après des années de mobilisation, les autorités kurdes irakiennes ont voté en 2011 une loi interdisant l’excision et prévoyant jusqu’à trois ans de prison et 80.000 dollars d’amende. Et pourtant, le Kurdistan reste en retard par rapport au reste de l’Irak, où aucune loi n’existe.
– Pression sociale -
Les victimes d’excision, généralement pratiquée à quatre ou cinq ans en Irak, souffrent pendant de longues années : saignements, sensibilité sexuelle quasi-nulle, souffrance lors de l’accouchement et dépression sont leur quotidien.
Certaines filles meurent même d’infection ou d’hémorragie après leur mutilation.
"J’ai eu mal et j’ai beaucoup pleuré", raconte Choukrieh, 61 ans, à propos de l’opération qu’elle a subie il y a plus de 50 ans. "Je n’étais qu’une enfant, je ne pouvais pas en vouloir à ma mère".
Si elle a fait exciser ses six filles, dont la plus jeune a 26 ans, celles-ci ont pour leur part refusé de mutiler leurs filles. (...)
l’excision est surtout une histoire "de femmes contre des femmes", martèle Mme Rassoul qui dit leur répéter que "c’est une violence qu’elles commettent de leurs propres mains". Selon un sondage mené par l’Unicef en 2014, 75% des femmes assurent que c’est leur mère qui a insisté pour qu’elles soient excisées.
Ainsi, "la loi de 2011 n’est pas appliquée car les filles ne portent pas plainte contre leur mère ou leur père", déplore Parwin Hassan, à la tête de l’unité anti-MGF des autorités kurdes.
Elle-même a échappé de peu à la mutilation : prise de remords, sa mère l’a retirée in extremis des mains de l’exciseuse.
Elle assure qu’en 2019, le Kurdistan va renforcer la loi et les campagnes d’information.
Le groupe Etat islamique (EI) désormais défait en Irak, les conditions sont plus propices pour porter le coup de grâce à l’excision, assure Ivana Chapcakova, spécialiste des violences sexuelles à l’Unicef.
Mobilisées à partir de 2014 pour protéger les Irakiens de la menace jihadiste, les agences de l’ONU peuvent dorénavant, selon elle, se "concentrer sur l’excision pour en faire un vieux souvenir du passé partout en Irak".