Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
blogs de Médiapart
L’altruisme des données peut-il sauver le monde ?
Gloria González Fuster pour Carta Academica, un collectif d’universitaires belges qui a décidé d’intervenir dans le débat public
Article mis en ligne le 28 avril 2021

Afin d’alimenter l’Intelligence artificielle, la Commission européenne fait appel à ce qu’elle nomme l’ « altruisme des données », un sentiment qui devrait pousser les citoyens à acquiescer à l’utilisation de leurs données. Cette approche est problématique, car elle ignore que nous ne sommes pas tous égaux face à nos données, et peut engendrer encore plus d’inégalité

Les données personnelles sont aujourd’hui un des biens les plus convoités. Les entreprises en raffolent, les autorités publiques ne cessent d’en demander. La lutte contre la pandémie du Covid-19 a depuis le début impulsé une accélération des traitements de données, y a inclus des données extrêmement sensibles, mais aussi des informations que n’avions pas l’habitude de collecter dans nos sociétés démocratiques : qui est infecté, quels ont été les « contacts », qui correspond aux critères de priorité pour la vaccination, quelles ont été les destinations de vacances… Il nous faut des données, en masse. Une fois obtenues on veillera à les combiner, si cela s’avère utile, et à les faire parvenir à qui en aurait besoin pour tel ou tel objectif, tout en veillant à en conserver autant que possible pour la science, qui en est aussi friande.

Au nom de l’IA, faites circuler

L’accès aux données est au cœur du développement de l’Intelligence artificielle (IA), dont la promotion, pour l’Union européenne, est devenue depuis 2020 un but en soi.[1] La Commission européenne a d’ailleurs, depuis l’année passée, établi un lien direct entre l’ambition de faire de l’Europe un acteur mondial de l’IA, d’une part, et sa stratégie pour les données[2], d’autre part. Cette stratégie s’inscrit dans une longue histoire d’initiatives en faveur de la disponibilité des données, dont les origines datent des années 1970. (...)

Gouverner par l’altruisme

Une des dernières idées en date de la Commission européenne est celle d’accroitre la disponibilité des données en allant piocher à la source même de ces informations, c’est-à-dire chez les citoyens eux-mêmes. C’est ici que la notion d’ « altruisme des données » entre en jeu. Le raisonnement est, grosso modo, le suivant : l’accès aux données pouvant être une bonne chose pour la société en général, il convient donc de demander aux individus d’en partager plus. En échange, et pour le rassurer, on leur promettra que ces données ne seront traitées que pour le « bien commun » (...)

L’idée prend appui sur des expériences plutôt inspirées par la notion de « donation », dans des démarches citoyennes semblables à celles de faire don, par exemple, de son corps à la science. Le concept même de « donation », néanmoins, se heurte frontalement au principe de base de la protection des données personnelles, selon lequel on ne peut pas demander aux individus de tirer un trait sur les droits dont ils disposent sur les données qui se rapportent à eux, car ces droits ont une dimension de droit fondamental.

Le terme « donation » fut donc remplacé par la Commission par « altruisme ». Mais les entorses du plan au RGPD persistent. Elles inquiètent d’ailleurs fortement le Superviseur Européen de Protection de Données et le Comité Européen de Protection de Données, qui ont co-signé au mois de mars un avis hautement critique à propos de la proposition de la Commission (...)

Partager c’est bien, mais refuser de partager c’est parfois bien aussi

Le choix du terme « altruisme » est d’ailleurs tout aussi problématique, sinon plus, en tant que tel. Le terme sous-entend, en effet, que le fait de ne pas acquiescer à cette démarche relèverait du ressort de « l’égoïsme ». Les accusations d’égoïsme à l’encontre de ceux qui résistent face à certaines collectes de données ont à vrai dire actuellement le vent en poupe. Même des chercheurs se prêtent ces derniers temps à ce genre de blâme, par exemple en reprenant « l’égoïsme » en tant que variable explicative concernant le refus d’une partie de la population de Belgique d’utiliser l’application Coronalert. (...)

Cette terminologie moralisatrice est à éviter, pour plusieurs raisons. Elle présuppose, d’abord, que nous sommes tous égaux face aux choix concernant nos données. (...)

Les problèmes de discrimination algorithmique sont déjà une réalité, et nous savons qu’ils sont liés - entre autres – à la nature des données présentes dans le système, mais aussi aux données manquantes, c’est-à-dire, celles qui se rapportent à des individus que la collecte de données aura rendu invisibles (...)

Les problèmes de discrimination algorithmique sont déjà une réalité, et nous savons qu’ils sont liés - entre autres – à la nature des données présentes dans le système, mais aussi aux données manquantes, c’est-à-dire, celles qui se rapportent à des individus que la collecte de données aura rendu invisibles (...)

Il est donc pour le moins inapproprié de critiquer ceux qui, soit du fait de circonstances personnelles, soit par solidarité avec ceux qui auraient beaucoup plus à perdre que d’autres, jugent préférable de ne pas partager leurs données en échange d’une vague promesse d’usage pour « le bien commun ». À vrai dire, il semblerait plus opportun de les féliciter et de les soutenir, car il se pourrait que leur comportement soit l’attitude la plus humainement responsable, et la seule en accord avec un « bien commun public » partagé par tous. (...)