Les puissances émergentes d’aujourd’hui ne sont pas de dignes héritières des anticolonialistes et des anti-impérialistes d’hier. Les pays du Sud contrôlent une part croissante de l’économie mondiale. Ce n’est que justice. Mais cette richesse est tellement mal répartie que l’inégalité des revenus est plus prononcée encore en Afrique du Sud ou en Chine qu’aux Etats-Unis. Et les fortunes ainsi constituées servent davantage à racheter des entreprises, des biens de prestige occidentaux qu’à améliorer les conditions de vie et de santé des populations indienne, chinoise, arabes, africaines.
C’est un peu l’ère des barons voleurs qui recommence.
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Tels les patrons américains hier, ils se font volontiers donneurs de leçons universelles. Interrogé sur le projet (trop) vite abandonné de nationaliser un de ses sites industriels lorrains (lire La ballade des « gens sérieux »), le milliardaire indien Lakshmi Mittal a qualifié cette idée de « bond en arrière ». Et il a prévenu : « Un investisseur réfléchira peut-être à deux fois avant d’investir en France (1). » Le premier ministre russe a eu recours à un argument du même tonneau pour commenter un relèvement de la fiscalité à Paris : « En Russie, que l’on soit riche ou pauvre, le taux d’imposition est de 13 %. On nous dit que les oligarques devraient payer plus, mais nous ne voulons pas que les capitaux partent à l’étranger, dans des circuits opaques (2). » Pékin n’est pas moins acharné à défendre les recettes libérales (...)
(...) L’historien britannique Perry Anderson rappelle qu’en 1815, lors du congrès de Vienne, cinq puissances — la France, le Royaume-Uni, la Russie, l’Autriche et la Prusse — s’étaient concertées pour prévenir la guerre et écraser les révolutions. Selon lui, l’ordre mondial est désormais gouverné par une nouvelle « pentarchie », informelle, qui réunit Etats-Unis, Union européenne, Russie, Chine et Inde. Cette Sainte-Alliance conservatrice, constituée de puissances rivales et complices, rêve de stabilité. Mais le monde qu’elle construit garantit que de nouveaux soubresauts économiques vont survenir. Et alimenter, quoi qu’elle fasse, les prochaines révoltes sociales.