Reportage · Entre 2017 et 2022, 3 millions de tonnes de ce bois précieux ont été exportées vers la Chine via les ports de Gambie et du Sénégal, pour une valeur d’au moins 1,8 milliard d’euros. Son exploitation et son exportation sont pourtant interdites.
(...) À 47 ans, Manga traque depuis des années l’exploitation forestière illégale. Car les forêts autrefois denses de Médina Yoro Foula, dans la province de Casamance, dans le sud du Sénégal, se transforment en vastes champs de souches d’arbres coupés.
Il s’arrête devant des traces de charrette encore fraîches. « Les arbres ont été abattus ici hier soir. On voit encore la sève rouge sang qui coule, d’où le nom de bois de rose, explique le militant écologiste. Les trafiquants emporteront les souches plus loin ce soir. » La forêt, autrefois connue pour sa diversité et sa faune riche, ressemble aujourd’hui à une savane sèche.
L’exploitation forestière de bois de rose a débuté en Gambie en 2010 et s’est rapidement étendue à la Casamance, puis au Mali. « Les Gambiens viennent voir nos chefs de village et leur offrent jusqu’à 500 000 F CFA (environ 760 euros). Et puis, ils achètent des maires », explique Manga
L’Amazonie du Sénégal
Jusqu’à récemment, les forêts de Casamance étaient surnommées l’Amazonie sénégalaise. Mais après avoir pillé les forêts d’Asie du Sud, les négociants en bois chinois, en partie en raison de l’absence de contrôle gouvernemental, se sont tournés vers le bois de rose d’Afrique de l’Ouest. En Gambie, au Sénégal et au Mali, où cette essence est protégée depuis 2017 par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites), ils collaborent avec des hommes d’affaires et des fonctionnaires corrompus. (...)
Des conteneurs remplis de bois de rose abattu illégalement partent pour la Chine. Là-bas, ce bois dur rouge cerise et parfumé, aussi appelé « l’ivoire de la forêt », est très prisé par la classe moyenne, en pleine expansion, qui le transforme en meubles de luxe. Les principaux moteurs de recherche chinois, comme Baidu, et les sites de commerce électronique, comme Taobao, vantent les mérites du bois de rose sénégalais et malien. (...)
Des conteneurs remplis de bois de rose abattu illégalement partent pour la Chine. Là-bas, ce bois dur rouge cerise et parfumé, aussi appelé « l’ivoire de la forêt », est très prisé par la classe moyenne, en pleine expansion, qui le transforme en meubles de luxe. Les principaux moteurs de recherche chinois, comme Baidu, et les sites de commerce électronique, comme Taobao, vantent les mérites du bois de rose sénégalais et malien. (...)
Les bûcherons, qui ont un atelier à la périphérie de la ville de Sédhiou, abattent jusqu’à trente arbres par semaine. Ils savent qu’ils s’autodétruisent en exploitant la forêt. Mais Yaya Thiam, 45 ans, accuse l’État de les oublier et de ne pas investir « dans l’agriculture en Casamance » (...)
Outre les cartels chinois, les rebelles indépendantistes du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) profitent du commerce dans cette région, négligée par le gouvernement central depuis des décennies. En plus de contrôler les industries lucratives du cannabis et de la noix de cajou, ils utilisent le commerce du bois pour financer leur lutte latente contre l’État sénégalais, selon l’ONG suisse Trial International.
« Trop de gens profitent de l’abattage » (...)
Après son limogeage, Haidar El Ali a constitué un vaste réseau de militants écologistes au Sénégal et au Mali. Selon lui, le Mali est le nouvel épicentre du commerce illégal de bois de rose dans la région. À bord de charrettes tirées par des ânes, les contrebandiers transportent des souches d’arbres depuis l’est du Sénégal par d’étroits sentiers forestiers à travers la frontière poreuse avec le Mali, échappant ainsi facilement aux agents des Eaux et Forêts des deux côtés de la frontière.
« Sous-payés et à peine armés, ils offrent de toute façon peu de résistance à la corruption, à moins qu’ils n’aient déjà reçu l’ordre d’en haut de fermer les yeux », explique El Ali, tout en dessinant avec empressement les itinéraires empruntés par les charrettes et les camions. « Le bois sénégalais est ensuite étiqueté comme malien afin de contourner les quotas. Il est ensuite exporté vers la Chine via les ports de Gambie et du Sénégal. » (...)
depuis 2021, le groupe djihadiste Jamāʿat Nuṣrat al-Islām wal-Muslimīn (Jnim) s’y cache et fait pression sur les bûcherons et les contrebandiers pour qu’ils paient la zakat, un impôt religieux, afin d’accéder à la forêt et d’y être protégés.
Selon l’Institut panafricain d’études de sécurité (ISS Africa), le Jnim utilise l’exploitation forestière non réglementée pour financer et étendre son contrôle dans la région. Fondée en 2017, cette organisation fédératrice de groupes affiliés à Al-Qaida est, avec l’État islamique (EI), l’une des principales organisations terroristes opérant au Sahel.
Alors que le régime militaire malien a réussi à repousser le Jnim dans le centre et dans le nord du pays, il aide indirectement son ennemi juré à gagner du terrain en délivrant des permis d’exploitation forestière à des entreprises chinoises, malgré une interdiction régionale par la Cites depuis 2022 d’exploitation et de commerce du bois de rose d’Afrique de l’Ouest.
Des camions remplis de troncs (...)
Depuis des dépôts situés à la périphérie de la capitale malienne, le bois de rose repart avec de faux permis, via les ports du Sénégal et de la Gambie, vers la Chine. (...)
Il y a tout juste un mois, le convoi du ministre malien de l’Environnement a été attaqué non loin de la forêt de Baoulé par des combattants du Jnim, qui renforcent leur emprise sur la région.