
En Creuse, la ferme-usine des Mille veaux est en train de sortir de terre. Une énorme bâtisse qui accueillera 1 400 broutards à l’année pour les engraisser, en lien avec la filiale viande d’Intermarché. Reportage sur un nouvel exemple de l’agriculture productiviste qui impose son modèle partout.
Ils ne sont pas contents, les membres de la Confédération paysanne, du Modef (syndicat agricole d’inspiration communiste) et autres petits producteurs limousins. Tout près de chez eux, une grosse bâtisse se construit. Elle accueillera 1400 broutards à l’année pour les engraisser.
Historique
A l’origine, une occasion rêvée : la perte des effectifs du camp militaire de La Courtine. Une enveloppe de compensation a donc été offerte par le ministère de la Défense afin de redynamiser la commune, en janvier 2011. Cette enveloppe a permis entre autre, d’aider au financement de douze projets, tels que la construction d’une maison de retraite ou la mise aux normes des hôtels-restaurants - et un projet agricole porté par le SAS Millevaches. (...)
Les centres d’engraissement accueillent les veaux lorsqu’ils ont entre 8 et 9 mois. Jusque là, ils sont normalement nourris sous la mère. Ils restent 9 mois en centre afin de grossir rapidement. A leur sortie, ils ont dix-huit mois et on les appelle jeunes bovins. Ils sont abattus et souvent transformés pour les raviolis et autres produits à base de bœuf de moyenne qualité et uniquement destinés aux pays du pourtour méditerranéen. En France, nous ne consommons pas d’animaux sortant de centre d’engraissement.
Le projet paraît donc une opportunité économique. Les animaux seront achetés aux agriculteurs du Puy-de dôme, Corrèze ou Creuse. L’entreprise a aussi passé un accord avec la firme Jean Rozé, filiale viande d’Intermarché, assurant ainsi aux éleveurs impliqués une base de rachat minimum, quel que soit le cours du marché. Une cinquantaine d’élevage et pas moins de 76 éleveurs adhèrent ainsi à la SAS Millevaches. (...)
la ferme des Mille veaux est loin de faire l’unanimité. En novembre 2014, un collectif « Mille voix-novissen » s’est constitué afin de contrer ce projet, pourtant validé après une enquête publique.
A La Courtine, on ne comprend pas bien la polémique. Selon Guillaume Sauty, agent à la Communauté de communes, « le projet est très bien accepté localement, il est écologiquement irréprochable. » Mais les membres du collectif font entendre un son de cloche totalement différent.
Selon Didier Lorioux, président d’Agrobio 19, « ce projet est un pas de plus dans le renforcement des liens entre l’agriculture et l’industrie. Mettre 1400 veaux à l’année, en hors sol, afin de les engraisser, des bêtes venant de cheptels différents et qui devront donc être obligatoirement traitées aux antibiotiques pour ne pas tomber malades et grossir plus vite va à l’inverse de ce que nous voulons faire de l’agriculture. Surtout sur un territoire comme le Limousin. »
Muriel Padovani, élu EELV, ex-conseillère régionale, va plus loin : « En Italie, tous les centres d’engraissement ferment parce qu’ils ne sont pas rentables, pourtant, là-bas, sur la plaine du Pô, ils ont toute l’alimentation de l’animal à portée de main. Ici, il va falloir importer. Nous n’avons ni colza ni maïs. Ce projet est voué à l’échec ! »
Pour le collectif, l’argent public devrait plutôt aider les petites installations. Jackie, membre du collectif elle aussi, a été éleveuse de chèvres sur le plateau de Millevaches avant d’y prendre sa retraite :
« Vous ne pensez pas que cet argent pourrait servir à aider les paysans à faire de vrais bons produits ? Vous ne pensez pas que cela pourrait servir à des jeunes en pleine installation ? Aujourd’hui, nos paysans sont des entrepreneurs. Ils passent leur journée en tracteur, à aller de leur parcelle 1 à leur parcelle 2. Pas un ne sait désormais traire une vache ou faire son fromage. S’allier avec Intermaché, c’est s’allier avec le diable ! » (...)