Le métier principal de la banque est de prêter de l’argent qu’elle n’a pas. Alors, pour attirer à elle les fonds qu’elle louera à des emprunteurs, sous forme de loyers avec intérêts, elle rémunère les dépôts des épargnants. Il ne lui est pas nécessaire de disposer en fond propre l’équivalent de ce qu’elle prête. Car elle met dans la balance les loyers qu’elle perçoit sous forme de remboursement d’emprunts de ses débiteurs, pour rassurer ses créanciers. L’équilibre est donc précaire et tient aussi longtemps qu’elle donne le sentiment de disposer de plus d’argent qu’elle n’en prête, même si cette balance est purement virtuelle. Si bien que lorsqu’elle est dans l’incapacité de démontrer que ses revenus couvrent les prêts qu’elle a consentis, le système vacille.
En 2008, les principales banques spéculatives américaines avaient abondamment prêté à des débiteurs qui ne pouvaient plus honorer leurs crédits, en particulier immobiliers. (...)
Mais le rêve absolu de la finance est de ne plus à avoir à rémunérer l’épargne. Ce qui lui permettrait d’accroitre considérablement ses profits. C’est d’ailleurs d’ores et déjà le cas depuis quelques décennies. Le taux de rémunération de l’épargne tourne autour de 2%. Le taux d’intérêts des prêts avoisine les 3,5% et l’inflation est inférieure à 2%. Si bien que le taux d’intérêt réel est de + 1,5% en faveur des banques. Dans les années 70, le taux d’intérêt était proche des 10%. La rémunération de l’épargne quelque part autour de 8 et surtout, l’inflation taquinait les 12%. Si bien que le taux d’intérêt réel était favorable à l’épargnant car le coût de ses crédits diminuait de 4% chaque année. On l’aura compris, la “lutte contre l’inflation”, qu’a imposé partout dans le monde le courant néo libéral monétariste de l’école de Chicago à la fin des années 70, dont Paulson est un des héritiers, n’avait d’autre objectif que d’accroitre la rémunération spéculative, c’est à dire le coût de l’argent sur les marchés en fabriquant de la dette. On commence à comprendre pourquoi, depuis le début des années 80, la machine économique réelle est grippée et pourquoi la machine financière s’emballe. (...)
L’étape suivante consistait finalement à faire payer l’épargne plutôt que de la rémunérer. Et c’est désormais chose faite. Car depuis ce lundi 18 mars 2013, les épargnants chypriotes devront payer entre 6,75 et 10% du montant de leurs dépôts en banque. Ce précédent majeur brise tous les tabous que le plan Paulson de 2008 était sensé dissimuler. L’épargne populaire n’est plus garantie et elle finance désormais directement les exigences de rendements des fonds spéculatifs. Le seul mérite de ce holdup incroyable est la franchise. Son inconvénient : il rend payant l’épargne de manière visible et non plus déguisée.
La suite logique de cet incroyable holdup sera un retrait massif des épargnants du système bancaire. Et pas seulement à Nicosie. Car selon la thèse des avantages comparatifs des libéraux, mieux vaudra rembourrer son matelas de billets réels que de laisser en banque une épargne “payante”. Or, sans l’épargne populaire, les banques sont condamnées à une mort rapide car incapables de garantir leurs débits auprès de leurs créanciers avides.
Or, Chypre fait partie de l’Union Européenne. Or, Chypre est intégrée à la zone Euro. Voilà pourquoi les bourses européennes s’affolent, dévissent, voient rouge. Tout simplement parce que l’effet “dominos” est déjà en marche.