
Reportage, Fercé (Loire-Atlantique)
"Mes parents sont arrivés ici en 1966, j’avais dix ans", commence Patrick Baron. "On avait cinquante hectares et trente vaches." Il montre une vieille bâtisse de pierres : "Au début, on habitait là. Le pré arrivait au pied de la maison et il y avait une mare, comme dans toutes les fermes de l’époque. Les bêtes venaient boire dedans."
Désormais, la petite maison de pierres est cernée de grands hangars de tôle et de parpaings. L’étable s’est agrandie. Patrick Baron (photo du chapô) a repris l’exploitation de son père. Il a 70 vaches, 120 truies et 100 hectares. Au fond, deux grands bâtiments gris abritent les porcs : c’est l’associé de Patrick qui s’en occupe.
(...) Son exploitation était en système intensif : "Les animaux sont nourris 365 jours par an sur le stock, à base du maïs qu’on cultive." Puis il s’est rendu compte que ce système n’était pas économiquement viable. "Les animaux restaient en bâtiment. On utilisait le tracteur pour leur amener l’aliment, pour ressortir leurs déjections, pour cultiver le maïs..." A trop utiliser le tracteur, on finit par trop dépenser en carburant.
Patrick a donc décidé de rendre son exploitation "économe", même s’il reste en système intensif. "Il faut limiter les dépenses, donc tous les achats extérieurs : carburant et aliments, notamment le soja importé", précise-t-il. Première mesure, il a remis les vaches au pré : "Elles vont chercher leur nourriture toutes seules et leurs déjections vont directement dans le champ !". A midi, elles rentrent spontanément à l’étable pour le déjeuner.
Deuxième mesure, il faut que le nombre de bêtes soit adapté à la surface de l’exploitation. Il faut avoir assez de champs pour épandre les déjections, mais aussi pour produire l’alimentation du bétail. "Ici, on est arrivés à un équilibre", se satisfait Patrick.
Mais il y a encore mieux, selon lui. Il propose d’aller chez un collègue passé en agriculture biologique, à quelques kilomètres de là. La petite route fait des lacets dans un paysage valonné. Une prairie ici, quelques vaches par là, un champ de maïs un peu plus loin... Patrick Baron arrête la voiture au sommet d’une colline : "Regardez comme c’est beau !" Puis il repart, désigne un hameau le long de la route : "Ici, avant, il y avait cinq fermes. Maintenant il n’y en a plus qu’une".
Représentant de la Confédération paysanne dans son département, il a toujours suivi de près les élections agricoles (...)
Patrick gare la voiture à Rougé, chez Jean-Michel Duclos. Celui-ci élève cinquante vaches en bio. Sur ses cent hectares, quatre-vingt douze sont des prairies. Ses animaux y pâturent neuf mois sur douze. En comparaison, Patrick n’a que trente hectares de prairies.
En ce moment de crise, Jean-Michel est fier de montrer son dernier investissement, un immense séchoir à foin pour stocker sa récolte en prévision de l’hiver : "Cela améliore la qualité du fourrage".
Son exploitation est encore plus économe que celle de Patrick : "On a un coût de mécanisation très bas et très peu d’intrants. On n’achète pas de fertilisants, pas de semences, juste quelques céréales pour nourrir les bêtes à un autre producteur." (...)
Le point commun entre Patrick et Jean-Michel, c’est qu’ils ont dit non au "Produire plus". "C’est très difficile d’y échapper, ils nous le répètent tout le temps !" Mais qui "ils" ? "Les coopératives surtout, répond Patrick. Elles sont en compétition. Elles ont investi dans des outils de transformation comme les abattoirs. Cela coûte cher. Pour rentabiliser il faut faire du volume."
Jean-Michel désigne un papier qu’il vient de recevoir de la coopérative agricole Terelevage. "Regardez, ils proposaient déjà un bâtiment d’élevage qui s’appelle le ’Palace’. Maintenant c’est le ’Grand Palace’, pour mettre encore plus de bêtes !" Le document promet "un gain de temps de 35 %" et de "réduire les coûts de 40%".
Patrick renchérit : "Et cette coopérative possède un abattoir qu’elle est obligée de fermer un jour par semaine, parce qu’elle ne reçoit pas assez de volume ! Ca leur coûte très cher. C’est pour cela qu’elle essaye de convaincre les agriculteurs de produire plus."
Sur la table, Jean-Michel montre aussi le dernier numéro de L’Avenir Agricole. Parmi les titres de Une : "Lait : produire plus, mais comment ?" L’agriculteur s’en amuse : "Et pourtant, je suis abonné à ce journal parce qu’il est indépendant des syndicats !" (...)