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Colombie Gardienne des semences
Article mis en ligne le 20 juin 2014

En mars, Alba Calvache et deux de ses compagnons ont parcouru l’Europe pour populariser leur combat contre les trusts semenciers qui, s’appuyant sur le traité de libre commerce entre Colombie et États-Unis, cherchent à rendre illégales les graines paysannes.

L’œil est à la fois aiguisé et affectueux. Sur la table de la salle à manger du mas de Granier, coopérative Longo Maï installée dans la plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône), Alba examine les échantillons de blés anciens qu’on lui tend. Bolo, expert autodidacte, cherche pour elle leurs noms latin, français, espagnol, inscrits dans un cahier d’écolier. La jeune femme vient du département de Nariño, à l’extrême sud-ouest de la Colombie. Si elle voulait emporter chez elle quelques-uns de ces épis, il faudrait les faire passer en contrebande, comme dans un film de science-fiction mettant en scène un futur totalitaire. (...)

Fille de paysans, Alba est la porte-parole des Guardianes de semillas de vida [1] en Colombie. Apparu en Équateur, ce réseau de sauvegarde de graines traditionnelles est aux avant-postes de la mobilisation contre la résolution 9.70 [2], qui met hors la loi toute semence non brevetée. « Je continue à semer, bien que j’habite actuellement dans la ville de Cali, raconte Alba. C’est un choix que nous avons fait, malgré mon peu de goût pour la vie urbaine. En ville, on théorise trop et on n’agit pas assez. Dans notre réseau, basé sur l’amitié et la confiance, il y a des paysans gardiens, des citadins avec leurs circuits courts de distribution, mais aussi des agriculteurs désirant revenir à un mode de production agro-écologique. Nous produisons, distribuons et certifions nous-mêmes les graines sauvegardées. »

En 2010, le président Santos a vendu le Traité de libre commerce (TLC) aux Colombiens avec cet argument : « Il apportera un demi-million de postes de travail d’ici cinq ans. » Il n’en fut rien. De son côté, Obama promit à ses électeurs d’inonder le marché sud-américain en pleine expansion de biens et services provenant majoritairement des États-Unis. Et pour cela, il serait sans pitié dans « la lutte contre la piraterie ». Et il ne s’agit pas seulement d’intercepter les copies frauduleuses des CDs de Beyoncé ou du dernier film des frères Coen, mais aussi les graines non homologuées. Trois trusts semenciers dominent 70 % du marché mondial : Monsanto, Syngenta et Dupont, qui considèrent toute utilisation ou échange de graines traditionnelles comme une concurrence déloyale ou une violation de la propriété intellectuelle. (...)

Blanche Magarinos-Rey, avocate spécialisée dans la défense des graines traditionnelles, souligne que, malgré certaines concessions sur la forme, le paysan devra dorénavant solliciter auprès de l’ICA l’autorisation de réutiliser ses propres graines, et ceci avant chaque semis (...)

On aurait tort de croire que la brutalité des méthodes yankees dans les campagnes colombiennes n’est qu’un phénomène lointain dû à des relations néocoloniales : en sourdine, la même logique est à l’œuvre ici en Europe. En France, « depuis 1961, un catalogue officiel dresse la “liste limitative des variétés ou types variétaux dont les semences et plants peuvent être mis sur le marché sur le territoire national”. D’outil de standardisation et de traçabilité, il est vite devenu outil de répression : aujourd’hui, il est interdit non seulement de vendre, mais aussi d’échanger les semences végétales non inscrites dans le catalogue. [3] » Ce catalogue, créé sous Pétain, s’est enraciné à l’ombre de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV). Au nom de la sécurité alimentaire, cet organisme exige des preuves de « stabilité, distinction et homogénéité » aux semences traditionnelles qui, sans brevet, seront renvoyées dans les limbes d’une semi-clandestinité potagère. Ces critères visent en fait à favoriser une production mécanisée et une distribution à grande échelle. Seuls les grands groupes ont les moyens financiers et l’appareil bureaucratique nécessaires pour accéder aisément au Saint-Graal de la certification, et donc de la « propriété intellectuelle », source de juteuses royalties. (...)