
Ce 2 septembre, quinze ans et un jour après y être entré, je quitte Le Monde : en ce lundi, le dernier lien juridique entre ce journal et moi est défait, par le « solde de tout compte ».
Que je quitte volontairement un titre prestigieux étonnera peut-être. Mais certes moins que la raison qui m’y pousse : la censure mise en œuvre par sa direction, qui m’a empêché de poursuivre dans ce journal enquêtes et reportages sur le dossier de Notre Dame des Landes.
Au terme de l’histoire que je vais ici retracer, il ne me restait qu’une issue, si je voulais conserver la liberté sans laquelle le journalisme n’a pas de sens : abandonner le confort d’un salaire assuré et de moyens de travail avant que soit étouffée la dernière marge d’expression qui me restait, la chronique Ecologie. (...)
mon propos n’est pas de savoir pourquoi la direction du Monde a bloqué mon travail de journaliste. S’il y a eu pression, elle devait y résister. S’il n’y en pas eu, elle devait me laisser travailler. Le journal aurait pu discuter des sujets, travailler les angles, m’associer un autre journaliste. Mais non : la direction ne discutait pas, elle interdisait. Le contrat de liberté qui fonde la légitimité de la presse était rompu (...)
dans le secteur économique dévasté qu’est devenue la presse, et largement dominé par les intérêts capitalistes, le journalisme environnemental est relégué, de nouveau, à la position de cinquième roue du charrette, voire de gêneur. Ce qui compte, dans l’atmosphère délétère d’un système qui ne proclame la démocratie que pour mieux renforcer les logiques oligarchiques, c’est la croissance, l’économie, la production.
On ne peut plus feindre qu’il y aurait des journalistes "engagés" et d’autres qui seraient neutres. Derrière la bataille pour l’information se joue celle des priorités, et les choix de priorité renvoient à des visions différentes du monde. (...)
Nous manquons de lieux où s’expose nettement cette problématique, où se présentent les informations et les reportages qui l’expriment, où l’on lise les débats et réflexions vigoureuses qu’appellent les nouvelles questions qui se posent, où les mouvements sociaux et les luttes "d’en bas" soient racontés, où les mille alternatives et solutions nouvelles que créent autant de citoyens qui savent que, oui, "un autre monde est possible" seront décrites, comme ailleurs, on relate les aventures des entreprises du CAC 40.
Eh bien, nous allons développer ce lieu nécessaire, ce "quotidien de l’écologie". C’est Reporterre.
Faiblesse de nos moyens face aux millions des oligarques qui contrôlent les médias, je ris. Nous ne sommes rien, ils sont tout. Mais nous avons ce que l’argent ne peut pas acheter : la conviction, l’enthousiasme, la liberté.