
Les attaques informatiques se multiplient : + 15 % l’an dernier selon l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (Anssi). Les médias ne sont pas épargnés par ces « événements de sécurité » motivés par des objectifs financiers ou politiques.
Le premier média victime de cyber-sabotage en France fut TV5 Monde, le 8 avril 2015, rappelle la revue Défense. Cette attaque d’ampleur inédite paralysa le site web de la chaîne, ses réseaux sociaux et surtout ses outils de production (matériel, messagerie interne), entraînant un arrêt des programmes. Bien que revendiquée par l’État islamique, l’attaque viendrait probablement de Russie, selon l’enquête de l’Anssi. Trois mois plus tôt, Le Monde subissait les charges de hackers de l’Armée électronique syrienne. En mars 2024, les comptes X (ex-Twitter) de RMC et de BFMTV (ainsi que la chaîne YouTube de celle-ci) étaient piratés par un groupe pro-palestinien. France Télévisions avait révélé en juin 2020 être victime d’une cyberattaque, sans donner beaucoup plus de détails.
La plupart des cyberattaques visant les médias français se font par rançongiciel, avec une visée lucrative (...)
Les outils
Délimiter les outils de cybersécurité en rédaction est « compliqué » selon Guy Sauvage, responsable sécurité des sites d’information pour le groupe Sipa Ouest-France. Smartphones et ordinateurs sont avant tout des outils de travail pour les journalistes, et les pare-feux, anti-spam ou VPN (réseau privé virtuel) ont une utilité générale. C’est pourquoi les outils de cybersécurité désignent, précise Julien Tordjman, directeur cyber du groupe France Télévisions, « des cyber-assurances, des logiciels et la formation » plutôt que de simples cache-écrans (qui permettent de se protéger contre les regards indiscrets). Ceux-ci sont d’ailleurs peu utilisés, si l’on en croit Jean-Marc Bourguignon, co-fondateur de l’ONG Nothing2Hide.
« On se forme à l’écriture web, on doit se former aux gestes de sécurité »
Difficile d’obtenir plus de détails, sécurité oblige. (...)
De plus en plus de rédactions, remarque-t-il, délaissent les services Google : « C’est beaucoup plus facile aujourd’hui. » Il préconise également « de ne pas tout mettre au même endroit » (VPN, mails, cloud…), même chez Proton — « qui a d’ailleurs soutenu Nothing2Hide cette année ».
Le budget
Aucun des médias qui nous ont répondu n’a souhaité communiquer précisément sur son budget cybersécurité. Seul TV5 Monde a déjà déclaré une dépense d’environ 20 millions d’euros sur cinq ans pour se rétablir de l’attaque de 2015. (...)
Les difficultés
« Aujourd’hui, les assurances demandent la formation du personnel pour assurer sur le risque cyber », révèle Liza Marie-Magdeleine, journaliste à la rédaction de Caen de Ouest-France et formatrice en cybersécurité. Pour elle, la cyberattaque de 2020 est un déclic : « J’ai voulu me former pour former les autres en interne. » Or, le plus compliqué, explique-t-elle, « c’est le shadow IT » : convaincre de la nécessité de changer ses habitudes, même si ça paraît contraignant. (...)
Pour les journalistes pigistes qui doivent déjà payer de leur poche tous leurs outils de travail, l’argent reste un frein (...)
Des besoins constants
Les cyberattaques laissent des traces. « Les souvenirs de 2020 sont encore très présents », remarque Liza Marie-Magdeleine (Ouest-France). Ceux de l’attaque historique de TV5 Monde cinq ans plus tôt sont « un fardeau qu’il faut porter à vie », abonde Alexis Renard. « L’année dernière, on a pu bloquer 600 000 mails malveillants avec nos outils de sécurité », soit autant de risques de phishing, « mais d’autres ont fini dans des boîtes mail. C’est pour ça qu’on continue de communiquer, sensibiliser et former. »
D’autant plus que les menaces sont en constante évolution. Tous les deux sont marqués par une arnaque très sophistiquée survenue l’année dernière. (...)
« Les journalistes, parce qu’ils sont des voix influentes, peuvent être des cibles de choix », interpelle Liza Marie-Magdaleine. « On le voit à travers les piratages de comptes sociaux. »
« Je fais un lien direct entre la cybersécurité et [des phénomènes] à bas bruit », éclaire Jean-Marc Bourguignon, co-fondateur de l’ONG Nothing2Hide. Des sujets en apparence anodins comme la psychose des punaises de lit en 2023, amplifiée par la Russie et l’Azerbaïdjan. « Si quelqu’un est apte à relayer une information sans réfléchir, il peut cliquer sur un lien malveillant dans un mail. » « Les statistiques montrent que 80 % des attaques viennent d’un facteur humain », (...)