
Nées dans les années 1970, les radios pirates ont porté les cris des usines, des immigrés et des luttes écologistes et féministes. Aujourd’hui, la résistance sonore ressurgit sous une forme nouvelle, des radios éphémères de lutte aux studios de podcasts indépendants.
(...) « Pendant presque deux heures, un émetteur de l’Est parisien a piraté la bande FM pour diffuser une fiction antisystème à base d’archives sonores. J’ai vécu ma première expérience d’auditeur de radio pirate », se souvient avec émotion Antoine Chao, réalisateur, de 2001 à 2007, de l’émission « Là-bas si j’y suis », diffusée sur France Inter.
Pour ce passionné de la radio, cofondateur de Radio Debout – la radio éphémère du mouvement social Nuit debout en 2016 –, cet épisode signe le retour de la « résistance des ondes » dans le paysage militant français.
Près d’un an plus tard, à l’occasion de la mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline en mars 2023, le lancement de Mega Radio lui donnera raison. Radio éphémère de lutte créée par les Soulèvements de la Terre, elle prévoit à ses débuts d’émettre illégalement sur la bande FM pour couvrir la manifestation, initiative rapidement démantelée par la police2. « Alors on s’est installés dans le grenier du centre socio-culturel de Melle avec toute la base arrière de Sainte-Soline pour créer une webradio3. Les radios associatives locales nous ont prêté tables de mixage et micros », raconte Agrippine4, membre d’un comité local des Soulèvements de la Terre, qui avait pour mission de rapporter des informations du terrain.
« C’était plutôt facile : j’enregistrais des “vocaux” sur mon téléphone que j’envoyais sur Signal à l’équipe sur place. Au début, je capturais les applaudissements et les slogans. Puis quand je me suis retrouvée près de Serge [Serge Duteuil-Graziani, militant placé dans le coma après le tir d’une grenade policière, NDLR]5, j’ai expliqué ce qui se passait comme je pouvais »6.
Contourner la répression policière
Si l’usage du son occupe une place centrale dans les luttes passées et présentes, c’est qu’il permet d’immerger sensoriellement l’auditeur dans un événement auquel il ne participe pas. (...)
À l’heure où les militants écologistes sont particulièrement réprimés7, la webradio est aussi un moyen de déjouer les barrières et intimidations policières et préfectorales. (...)
Partout dans le monde, les ondes représentent un moyen de résistance de taille. Depuis quelques mois, la journaliste gazaouie du média palestinien Filastiniyat Wafa Abdel Rahman essaie de mettre en place une radio qui émettra depuis Hébron, en Cisjordanie, pour diffuser uniquement vers Gaza. « Rien de politique », assure-t-elle auprès de Mediapart9, mais seulement des informations d’ordre pratique : où se procurer des vaccins, du lait, de la farine, du pain ; mais aussi les mises à jour sur le cessez-le-feu, « s’il y en a un », et des nouvelles des prisonniers libérés au jour le jour. L’équipe de journalistes espère commencer à émettre en mai. (...)
l’histoire de la radio libre en France est intrinsèquement liée aux luttes sociales et écologistes. Au printemps 1977, Antoine Lefébure lance Radio Verte, la première radio à défier le monopole français sur les ondes. Elle commence à émettre clandestinement aux quatre coins de Paris, pour diffuser des émissions sur les mouvements écologistes, particulièrement les luttes antinucléaires, à une époque où le sujet est marginalisé voire absent du champ médiatique. (...)
La source d’inspiration majeure : les radios pirates britanniques des années 1960 parmi lesquelles Radio Caroline11 et Radio North Sea International qui émettent illégalement – principalement du rock – depuis des cargos au beau milieu des eaux internationales, où la juridiction est suffisamment floue pour ne pas être inquiété de la répression. Il s’en suivra une période où des pirates radiophoniques investissent toits d’immeubles, cafés, hangars désaffectés, appartements de particuliers et même clochers d’église pour éviter la saisie de matériel par les forces de l’ordre.