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Violences et intimidations à l’égard des associations du réseau France nature environnement se multiplient. Les responsables des attaques sont à chercher du côté d’organisations agricoles. Que fait l’État ?
Il faisait nuit noire le 18 octobre dernier, lorsque Daniel Jarrige, président de l’association Saint-Junien environnement, en Haute-Vienne, entend le vrombissement d’un engin agricole devant chez lui. À peine sorti, il découvre un tracteur et une benne en train de déverser des pneus, des branches et de la terre devant son portail. Au-dessus du monticule, le drapeau jaune de la Coordination rurale, deuxième syndicat agricole français. « Je m’attendais à des représailles. Mais pas directement à mon domicile », témoigne-t-il, encore abasourdi.
Pour le militant, il n’y a pas l’ombre d’un doute : cet acte, également orchestré la même soirée devant le domicile du trésorier de son association, est une « vengeance », alors que se tenait, plus tôt dans la journée, le procès d’un ancien cadre de la Coordination rurale du département (CR87). Ce dernier était jugé pour avoir lâché des animaux sauvages, dont un ragondin, dans un cinéma, en janvier 2023 à Limoges, pour perturber la diffusion d’un film sur l’impact des mégabassines dans le marais poitevin. (...)
Des insultes taguées sur les murs (...)
Depuis 2022, Basta ! a répertorié dix-huit actions ciblées contre les associations membres de FNE dont la moitié en lien avec les récentes manifestations agricoles. Certaines sont perpétrées directement au domicile des représentants de FNE, comme en Charente-Maritime, où la propriété du vice-président de Nature environnement 17 a été saccagée et des insultes homophobes taguées sur ses murs. (...)
D’autres intimidations ont eu lieu en marge d’événements visant à sensibiliser le public aux enjeux environnementaux. (...)
« Depuis qu’on a laissé le monde agricole vandaliser partout, on sent monter une forme d’impunité, observe Cécile Argentin, porte-parole de FNE Occitanie-Midi-Pyrénées. Et avec les élections professionnelles des chambres d’agriculture, on a l’impression que c’est à qui fera la plus grosse opération de communication. »
« Une sorte d’impunité » (...)
epuis le 15 janvier et jusqu’au 31 janvier, les agriculteurs sont appelés à voter pour leurs représentants dans les chambres d’agriculture des départements, actuellement dominées par la Fédération nationale des exploitants agricoles (FNSEA). Deuxième syndicat du pays avec 21,54 % des voix, la Coordination rurale détient aujourd’hui la majorité dans trois chambres départementales. (...)
Le 7 octobre 2024, pour la quatrième fois en quatre ans, l’antenne FNE Occitanie-Midi-Pyrennées, située à Toulouse, a été vandalisée. Cette fois-ci, l’attaque est revendiquée sur les réseaux sociaux par la Coordination rurale du Gers. (...)
« Il y a une forme de radicalisation qui s’installe même dans des territoires qui étaient autrefois épargnés », observe Cécile Argentin. Cette recrudescence de la violence est une conséquence directe, estime-t-elle, de la criminalisation des activistes de l’environnement orchestrée par les derniers gouvernements successifs.
« L’emploi du terme écoterroriste au plus haut sommet de l’État a fait beaucoup de mal », estime Michel Galliot, président de FNE Limousin, à propos du discours de l’ancien ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour justifier la répression policière, à Saint-Soline, le 25 mars 2023. « (...)
Dans le Tarn-et-Garonne, à Montauban, les locaux de FNE ont été dégradés trois fois en moins d’un an. Le portail et les caméras de surveillance ont à chaque fois été endommagés pour un montant total avoisinant les 60 000 euros. Pourtant, estime son président, Gaëtan Deltour, les relations avec le syndicat FDSEA, qui ne revendique pas officiellement ces actions, sont bonnes. (...)
Même stupeur et incompréhension dans l’Indre. L’association Indre Nature, regroupant quatorze salariés et 900 adhérents, a subi, le 26 novembre dernier, en marge de la manifestation agricole de Châteauroux, ce qu’elle qualifie d’agression de la part de la FDSEA36. (...)
« Mort aux écolos »
Si le déversement de déchets devant les locaux de FNE n’est pas une pratique nouvelle, la violence des slogans qui accompagnent ces actions inquiète les militants. (...)
Quasiment toutes les agressions font l’objet d’une plainte. « L’idée est de montrer que nous ne nous laisserons pas intimider et que nous continuerons notre travail », explique une juriste de l’association. FNE déplore que ces plaintes soient « systématiquement classées sans suite parfois sans enquêtes. Alors même que les personnes et les syndicats agricoles commanditaires de ces faits se sentant tellement au-dessus des lois, les signent, publient et revendiquent leurs forfaits sur les réseaux sociaux ». L’association environnementale dénonce le deux poids deux mesures de l’État. (...)
Pourquoi France nature environnement ?
(...) Pourtant, dans les faits, les associations de défense de l’environnement travaillent énormément avec les agriculteurs. Que ce soit au sein des commissions administratives locales, sortes de mini-parlements encadrés par les préfectures autour de thématiques telles que l’eau, la chasse, les paysages, ou dans des programmes de préservation d’espèces protégées. (...)
« Nous sommes en réalité la cible facile alors que notre rôle est de veiller à l’application du droit de l’environnement », admet Cécile Argentin. « On se retrouve dans une situation où aller devant les tribunaux, avec le narratif actuel, c’est être un emmerdeur, regrette Morgane Piederrière, chargée de plaidoyer à FNE. Or, dans une démocratie, aller devant les tribunaux est une façon saine et légale de gérer un conflit. »