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Mediapart
Pesticides : des décennies d’alertes, des décennies d’empoisonnement
#loiDuplomb #agriculture #pesticides #AssembleeNationale #pétition
Article mis en ligne le 15 octobre 2025
dernière modification le 13 octobre 2025

Apparus à la fin du XIXe siècle, les pesticides ont connu un développement fulgurant après la Seconde Guerre mondiale. Et malgré les avancées de la science sur leur toxicité, leur usage continue de croître aujourd’hui.

C’est l’histoire d’un déni. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et le tournant vers l’agriculture intensive, tout a été fait à l’envers dans le domaine des pesticides. Nul principe de précaution : il faut systématiquement attendre de longues années avant que les autorités interdisent l’emploi d’un produit chimique une fois sa toxicité avérée.

Le DDT, un insecticide de la famille dite des organochlorés, utilisé au départ pour lutter contre les poux dans les troupes militaires états-uniennes, en est l’exemple emblématique. Rapidement adopté dans le secteur agricole, il se répand en France au sortir de la guerre dans les champs et les laiteries.

Aux États-Unis, la biologiste Rachel Carson alerte. Le DDT décime des espèces à grande échelle, les populations d’oiseaux s’effondrent, le nombre de cancers est démultiplié : elle décrit tout cela dans un ouvrage fondateur pour la lutte contre les pesticides, Printemps silencieux. Le livre, qui deviendra un best-seller, paraît en 1962, est traduit en français en 1963. Il faudra attendre 1971 pour que les autorités françaises retirent le DDT du marché. (...)

Histoire d’emprise

Bref, ce que dit la science pèse bien peu dans la balance. « La régulation de l’innovation chimique au XXe siècle s’est faite a posteriori, le gouvernement encourageant les épandages avant de s’apercevoir de leurs effets sanitaires, sociaux, et environnementaux, et de chercher à les réguler – souvent de longues années après les premières preuves des effets néfastes de l’innovation », écrivent Andy Battentier et Martin Rieussec-Fournier dans Secrets toxiques, ouvrage de la campagne menée par plusieurs dizaines d’organisations pour sortir de la dépendance aux produits de synthèse.

Car cette histoire des pesticides, c’est aussi une histoire d’emprise : celle de la chimie sur le monde paysan, au détriment des savoir-faire agronomiques ancestraux. Vendre des produits conçus en laboratoire s’est avéré bien plus rentable pour des firmes en recherche de profit que laisser libre cours aux pratiques agroécologiques, pourtant très efficaces pour lutter contre les espèces indésirables dans les champs. (...)

De la Libération jusqu’à aujourd’hui, le flux des nouvelles combinaisons sortant des laboratoires et des homologations émises par le ministère de l’agriculture puis par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) est continu. Les autorisations sur le marché se comptent par milliers, suivant un curieux mécanisme qui ignore une grande partie du savoir scientifique.
Fabrique du doute

Pendant longtemps, il n’y a pas, ou très peu, d’études préalables, et jusqu’en 2005, le ministère de l’agriculture, avec sa « commission des toxiques », est souverain sur l’autorisation des produits. Aujourd’hui, ces autorisations reposent sur deux instances : l’Efsa (l’Autorité européenne de sécurité des aliments), qui fixe la liste des substances légales pour l’ensemble de l’Union européenne (UE), et l’Anses, qui autorise ou retire les produits composés de ces substances sur le marché français. Mais le processus, opaque, est truffé d’angles morts. (...)

Les « effets cocktail » – effets de la combinaison de différents composants dans un même produit, et effets de différents produits se rencontrant dans un même environnement – ne sont jamais pris en compte (cela pourrait toutefois changer, au vu du dernier arrêt de la cour administrative d’appel de Paris). (...)

des centaines de produits sont autorisées chaque année, sans que leur réel impact sur la santé humaine comme sur les écosystèmes soit correctement évalué.

Les maladies, cependant, se multiplient. Au mitan des années 2010, aux États-Unis, des plaintes sont déposées contre Monsanto par des agriculteurs et des jardiniers atteints du lymphome non hodgkinien – un type de cancer du sang pour lequel le lien est établi avec la manipulation de produits phytosanitaires. Ils seront quelque 3 000 en définitive à poursuivre la firme agrochimique, rachetée depuis par le groupe allemand Bayer. Non seulement les malades seront indemnisés, mais une masse considérable de documents internes à l’entreprise sera déclassifiée au cours de la procédure. C’est ce qui deviendra les « Monsanto Papers » : une série de révélations journalistiques – dans Le Monde en particulier – qui montrera les moyens déployés par l’entreprise pour décrédibiliser le travail scientifique.

Cette fabrique du doute, à l’image de ce qui avait été fait par l’industrie du tabac dans les années 1950, est longtemps parvenue à faire illusion. Mais les avancées de la médecine sont formelles. (...)

Est-il nécessaire, aujourd’hui, d’attendre de nouvelles alertes pour faire appliquer, enfin, le principe de précaution ?

« Les futurs historiens seront peut-être confondus par notre folie ; comment, diront-ils, des gens intelligents ont-ils osé employer, pour détruire une poignée d’espèces indésirables, une méthode qui contaminait leur monde, et mettait leur existence même en danger ? », interrogeait Rachel Carson en 1962.

Nous voilà soixante-trois ans plus tard, avec la parfaite conscience de cette « folie ». L’usage des pesticides, pourtant, n’a fait que croître depuis. (...)


Pétitions citoyennes ➡️ Assemblée Nationale : Non à la Loi Duplomb — Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective.