Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Twitter/thread reader
Vous connaissez l’expérience de Rosenhan ?
Article mis en ligne le 21 février 2022
dernière modification le 20 février 2022

Un psychologue, en 1973, a publié une étude sur la validité du diagnostic psychiatrique. La suite va vous surprendre (non).

Le but de l’expérience est le suivant : faire admettre des personnes n’ayant aucune maladie mentale en hôpital psychiatrique afin de vérifier si les psychiatres étaient compétents pour diagnostiquer la folie et si leurs diagnostics valaient quelque chose.

Donc David Rosenhan, qui mène l’étude, et 7 complices vont appeler un hôpital psychiatrique en se plaignant d’hallucinations auditives. Ils vont mentir sur leur prénom et leur métier pour ne pas induire de traitement spécial. Le reste de leur biographie est vraie.
Ils sont reçus et une fois sur place, ne vont montrer aucun signe de maladie mentale. Pas mentir, rien, juste dire que les hallucinations ne sont pas revenues

D’ailleurs, petit arrêt sur l’hallucination auditive en question, ce sont des voix qui se contentent de dire des mots comme "vide", "vain" ou "bruit sourd". Rien d’autre. Pas très inquiétant mais suffisant pour être reçu.

A partir de là, plusieurs choses.
 La plupart des vrais malades de l’hôpital vont tous comprendre la supercherie assez vite mais vont jouer le jeu et ne pas la révéler au personnel.
 Les faux malades vont prendre des notes sur tout ce qui se passe dans l’hôpital.
 Le personnel de l’HP va interpréter chaque comportement des faux patients comme des manifestations de la maladie. Par exemple, ils vont considérer que leur prise de note est un travail d’écriture et le disent pathologique.

Alors bon là sans surprise, petite parenthèse de leur prise de note, mais ils décrivent la déshumanisation au sein des HP, l’absence de vie privée, la fouille de leurs affaires, l’espionnage pendant leur toilette. Tout ça en leur présence mais en les ignorant.
Bref, finalement, ils sont tous diagnostiqués schizophrènes. Et le seul moyen qu’ils ont eu de sortir a été de confirmer le diagnostic des psychiatres. Dire "je suis malade mais je vais mieux". Affirmer que les psychiatres ont raison, quoi.

Suite à cette expérience, un CHU reconnu affirme que "ces erreurs n’auraient jamais pu se produire dans notre établissement".
Rosenhan les met alors au défi "je vais vous envoyer des faux malades pendant les 3 prochains mois, on av voir si vous arrivez à les débusquer".

En réalité, il n’envoie aucun faux malade. Mais pourtant, le CHU a considéré, sur les 193 admissions de cette période, 41 imposteurs et 42 suspects.
Donc là, on a deux choses :
 Incapacité à voir de faux malades
 Voir des faux malades où il n’y en a pas

Il y a évidemment eu des expériences similaires. Fin années 60, début 70, en 1988, en 2008. (...)

Lire aussi :

Expérience de Rosenhan (Wikipedia)

(...) La conclusion de l’étude est que les humains ne peuvent pas distinguer les personnes saines des personnes atteintes de pathologies mentales dans les hôpitaux psychiatriques. Elle illustre également les dangers de la déshumanisation et de l’étiquetage dans les établissements psychiatriques. L’étude suggère de remettre en cause la nature du diagnostic porté par les personnels de santé dans les hôpitaux psychiatriques, en prenant en compte les effets induits de l’institution sur les sujets concernés. (...)

L’expérience de Rosenhan [1] (Cairn info)
Michel Minard

Dans Sud/Nord 2009/1 (n° 24), pages 73 à 78

(...) David Rosenhan était à cette époque professeur de psychologie à l’école de droit de Stanford University, à Palo Alto (Californie). Il se posait alors une question simple, première phrase de son article : « Si la santé mentale (sanity) et l’aliénation mentale (insanity) existent, comment les reconnaître [3] (...)

Pour Rosenhan, le fait que les psychiatres n’aient pas détecté leur bonne santé mentale était dû à un fort parti pris que les statisticiens nomment « erreur de type 2 » : les médecins sont plus enclins à déclarer qu’une personne en bonne santé est malade (faux positif de type 2) que le contraire (faux négatif de type 1). Prudence oblige : il vaut mieux diagnostiquer une maladie chez un bien portant, que de prendre le risque d’affirmer en bonne santé un malade. Mais en psychiatrie, diagnostiquer une schizo­phrénie chez quelqu’un qui n’a rien est très préjudiciable, du fait de la stigmatisation personnelle, sociale et possiblement légale de cette étiquette. (...)

Lorsqu’on rapporte ce travail de Rosenhan, on s’en tient souvent là, généralement pour appuyer la thèse selon laquelle les dsm sont sans intérêt. On pourrait pourtant y voir au contraire une incitation à établir des processus diagnostiques plus fiables, utilisant par exemple des critères diagnostiques du genre de ceux de Feighner qui, rappelons-le, sont contemporains de la recherche de Rosenhan.

5
Mais Rosenhan, lui, ne s’en tient pas là.

6
Il exploite en effet toutes les notes que chacun des faux patients avait prises pendant son hospitalisation. Il s’interroge sur le fait que, dans son expérience, des étiquettes psychiatriques qui ne « collaient » pas (au sens figuré) aient en fait si bien « collé » (au sens propre) aux faux patients que non seulement ils ne pouvaient pas s’en débarrasser mais « elles coloraient profondément toutes les impressions que [les personnels psychiatriques] avaient d’eux et de leurs comportements [7]
[7]Ibid., p. 253.
 ». Des étiquettes telles que « fou », « schizo­phrène », « maniaco-dépressif » et « insensé », une fois posées, vont influer sur toutes les caractéristiques de l’étiqueté, ses comportements et son histoire, qui vont être interprétés de manière erronée à la lueur de ces diagnostics.

7
C’est ainsi qu’un des faux patients raconta simplement son histoire, une histoire parfaitement banale. Il avait eu une relation très proche avec sa mère pendant son enfance, plus distante avec son père. À l’adolescence et plus tard, ses relations avec son père étaient devenues très chaleureuses, tandis que les relations avec sa mère s’étaient quelque peu altérées. Ses relations avec son épouse étaient excellentes. À part de très rares échanges un peu vifs, les frictions dans le couple étaient minimes. Ses propres enfants ont très rarement reçu une claque sur les fesses. Cela a été traduit ainsi dans le rapport de sortie : « Cet homme blanc de 39 ans manifeste une longue histoire de très grande ambivalence dans ses relations avec ses proches, qui a commencé dès la petite enfance. Une relation chaleureuse avec sa mère s’est refroidie à l’adolescence. Une relation distante avec son père est devenue au contraire très intense. On note une grande instabilité affective. Ses tentatives pour contrôler ses émotions avec sa femme et ses enfants sont ponctuées de colères explosives et, dans le cas des enfants, de fessées. Et, bien qu’il dise avoir de nombreux amis, on note là aussi une ambivalence considérable 

. » C’est bien le fait d’avoir porté un diagnostic de schizo­phrénie qui a introduit une déformation de l’histoire racontée par le patient, pour la rendre plus conforme avec les théories de la schizo­phrénie en vogue à cette époque. L’utilisation de certaines formules, telles que « ambivalence » ou « instabilité affective », a été déterminée par le diagnostic porté à l’admission.

8
De la même manière, les soignants n’ont jamais interrogé les patients sur le fait qu’ils prenaient beaucoup de notes au vu et au su de tout le monde. Quelques malades leur ont posé des questions, et, comme on l’a vu, en ont déduit qu’ils n’avaient rien et étaient là pour enquêter. Mais par contre, les mêmes soignants, dans leurs rapports, ont souvent décrit la prise de notes des faux patients comme une manifestation comportementale pathologique de leur affection.

Rosenhan estime aussi qu’une des caractéristiques tacites du diagnostic psychiatrique est de localiser les sources du comportement aberrant dans l’individu, rarement dans les stimulations positives ou négatives en provenance de l’environnement. (...)

Dans leurs notes, les faux patients relèvent souvent qu’un patient devient fou furieux parce que, sciemment ou pas, il a été maltraité par un garçon de salle. Les staffs reconnaissent parfois l’influence de la famille ou des autres patients dans ces déchaînements de violence, mais jamais le rôle de l’un de leurs membres. Et Rosenhan rappelle au passage une évidence : les « sensés » ne sont pas sensés tout le temps, pas plus que les « insensés » ne sont insensés tout le temps.

Comme Goffman, Rosenhan et ses faux patients pointent du doigt les dysfonctionnements des hôpitaux, à commencer par le peu de temps passé par les personnels avec les patients (...)

La dépersonnalisation des patients, leur impuissance et leur invisibilité aux yeux des soignants suivent de très près leur stigmatisation diagnostique. Les faux patients se sont partout étonnés de ne jamais avoir été soupçonnés de jeter leurs comprimés dans les cuvettes des toilettes, alors qu’ils le faisaient ouvertement. Et ils ont vite compris que les vrais patients étaient aussi invisibles qu’eux, au vu du nombre de comprimés qu’ils découvraient dans lesdites toilettes, avant de s’y débarrasser des leurs. Rosenham estime que les attitudes de la population vis-à-vis des malades mentaux (peur, hostilité, dégoût, attitude distante, suspicion et appréhension) affectent aussi les professionnels, hélas à leur insu.

Outre le peu d’échanges de regards et de paroles avec les patients, les professionnels peuvent aussi les maltraiter. (...)

Cette dépersonnalisation des patients, Rosenhan l’attribue à plusieurs facteurs, à commencer par l’attitude ambivalente des personnels. Mais il invoque aussi la structure hiérarchique de l’hôpital psychiatrique et ses difficultés financières. Et il estime que la croyance dans la toute-puissance des médicaments psychotropes ne rend plus nécessaires les entretiens avec les patients, sans que cela soit obligatoirement formulé ainsi. Enfin, l’étiquetage diagnostique lui paraît concourir à ce processus mortifère, faisant des malades mentaux les nouveaux lépreux.

14
En conclusion, Rosenhan répond à sa question initiale : « Il est clair que nous ne pouvons pas faire la distinction entre “sensé” (sane) et “insensé” (insane) dans les hôpitaux psychiatriques . » et que l’ensemble des phénomènes induits chez les patients par cet environnement est contre-thérapeutique. (...)