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Mediapart
Une inspection étrille les dérives autoritaires et médicales de l’IHU de Didier Raoult
Article mis en ligne le 9 juillet 2022

Dans un rapport provisoire que Mediapart a pu se procurer, une mission d’inspection confirme nos informations sur « les pratiques médicales et scientifiques déviantes » de l’IHU, ainsi que sur son management « tyrannique ». Des faits susceptibles de revêtir une « qualification pénale ». Les inspecteurs pointent également l’immobilisme des autorités.

Toutes les critiques formulées contre Didier Raoult depuis l’épidémie de Covid-19, et antérieurement pour des faits de harcèlement, sont confirmées par une inspection menée conjointement par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR).

Mediapart s’est procuré le rapport provisoire de la mission d’inspection, révélé par La Provence, mercredi 6 juillet. Il sera définitif lorsque l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) marseillais aura apporté ses réponses, attendues avant le 18 juillet. (...)

Ses conclusions vont même bien au-delà : la mission d’inspection estime par trois fois que des pratiques médicales et des recherches cliniques dévoyées peuvent « relever d’une qualification pénale ». Elle soupçonne également une « fraude » à l’assurance-maladie. Les médecins de l’IHU, dans une situation de « soumission » au professeur Raoult contraire à l’éthique, ont également engagé leur responsabilité en prescrivant des médicaments en dehors de toute recommandation ou cadre légal.

Sur de nombreux aspects, les dérives graves de l’IHU ont déjà été rendues publiques par des journalistes, des scientifiques ou de précédentes inspections, notamment celle de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) en novembre 2021 – rendue publique en avril 2022 – et celle de l’IGAS dès 2015.

Ce nouveau rapport ne peut qu’interroger sur l’immobilisme des tutelles face à des alertes multiples, comme le soulignent les inspecteurs. L’inspection a été lancée le 4 novembre 2021 par le ministre de la santé Olivier Véran, quelques semaines après les révélations de Mediapart et de L’Express sur des expérimentations sauvages conduites sur des malades.

Une longue dérive autoritaire de Didier Raoult

L’histoire de l’IHU, créé en 2011 et d’emblée dirigé par Didier Raoult, est celle d’une longue dérive autoritaire du professeur marseillais, révèle la mission. Au sein du conseil d’administration de l’IHU, il n’a longtemps eu aucun contre-pouvoir.

Didier Raoult « ne laisse pas de place au débat et à la contradiction », qui sont pourtant « particulièrement essentiels dans la démarche de type scientifique et la pratique médicale », analysent les inspections. (...)

Près d’une personne sur quatre, entendue par les inspecteurs, a fait part d’un « mal-être voire d’une forte souffrance » liés aux méthodes de management de l’équipe dirigeante de l’IHU et plus particulièrement de Didier Raoult.

La mission s’inquiète du climat de peur que le professeur, décrit comme « tyrannique », fait régner au sein de l’IHU. « Quels que soient leur niveau hiérarchique ou les fonctions qu’elles occupent, les personnes entendues craignent que la direction sache qu’elles ont témoigné auprès de l’IGAS, certaines craignant même des représailles. »

Elle rappelle le cas du secrétaire académique d’un syndicat de l’enseignement et de la recherche, le SNPTES, qui en 2017 « s’est fait agresser dans la rue par deux personnes extérieures qui l’ont menacé de représailles s’il continuait à s’occuper de l’IHU ». Au cours de cette mission, « certaines personnes témoignent même en pleurs ».

Et pour cause. Didier Raoult, dont l’autoritarisme est « parfois brutal ou colérique », « engueule et fait trop peur », confie l’une des personnes entendues. « On ne peut pas s’exprimer et quand il n’est pas d’accord, il dit : “Tais-toi” », dit une autre. Enfin, un commentaire revient comme « un leitmotiv » au fil des entretiens : « On te demande pas de comprendre, on te demande d’obéir. » (...)

Des comportements qui pourraient s’apparenter à du harcèlement (...)

Compte tenu de la gravité des faits, « particulièrement préoccupants », et de la peur de certains de porter plainte, les inspecteurs concluent que « seule une instruction judiciaire permettrait d’exploiter ces témoignages ».

Ce mode de gestion n’est pas sans conséquence sur la conduite de la recherche. En effet, certains expliquent que Didier Raoult « inverse la démarche scientifique en partant de la conclusion pour remonter aux données. [Il] nie l’évidence et conteste des vérités scientifiques établies ». (...)

Les inspecteurs concluent que ce mode de management « a dégradé la démarche scientifique et le raisonnement médical ».

Comme nous l’avions révélé, ces faits ne sont pas nouveaux. (...)

Si une telle situation a pu perdurer, regrettent-ils, c’est « qu’aucune instance interne ni aucun encadrement intermédiaire n’a exercé une forme de contre-pouvoir ». Ils mettent en cause « la lenteur et la faiblesse de la réaction de certaines tutelles entre 2018 et 2021 ». « Seuls les organisations syndicales et les CHSCT du versant universitaire » ont agi et interpellé les « directions des établissements-tutelles, voire le ministre chargé de l’enseignement et de la recherche ». Mais aucun d’entre eux n’est intervenu.

Leur conclusion est sans détour : ils recommandent de « renouveler l’équipe de direction médicale de l’IHU et de modifier profondément les pratiques managériales ».

Tuberculose, Covid : des pratiques déviantes (...)

Non seulement « les patients n’ont pas reçu les traitements conformes aux standards actuels », mais surtout « ils ont pu être victimes d’une perte de chance ». Ces dérives ne sont pas isolées puisque ce sont près de 35 dossiers médicaux qui confirment l’utilisation de molécules non recommandées sans qu’il ne soit « retrouvé systématiquement le bénéfice/risque ni l’information du patient ».

Parmi les personnes ainsi traitées, « il y a un mineur, des non-francophones et des sans domicile fixe ». Ces traitements ont provoqué plusieurs complications, notamment rénales, nécessitant des opérations en urgence.

Enfin, comme nous l’avions soulevé, le doute perdure sur le cadre de ces prescriptions. Alors que l’Agence du médicament avait refusé à l’IHU de mener une recherche clinique pour tester ces traitements, l’institut les a néanmoins prescrits, prétextant le faire dans le cadre du hors-AMM (Autorisation de mise sur le marché). Selon ce dispositif dérogatoire, un médecin a le droit de prescrire des médicaments pour d’autres pathologies que celles pour lesquelles ils ont été autorisés. Mais cela doit être fait « dans l’intérêt du patient » et en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée. (...)

En définitive, « la perte de chance pour certains patients » et les « risques pris en établissant ces protocoles » sont susceptibles « de revêtir une qualification pénale ».

Le rapport n’est pas tout à fait à charge. Il reconnaît à l’IHU son « portefeuille large d’activités et de recherche », sa « contribution majeure à la découverte de micro-organismes et à la microbiologie diagnostique ». Il a aussi été « agile et performant pour faire face à l’épidémie », notamment grâce à ses « capacités techniques de haut niveau » qui lui ont permis, dès le début de l’épidémie de Covid-19, de développer une grande activité de dépistage.

C’est le seul satisfecit accordé à l’action de l’institution marseillaise dans la période du Covid (...)

Des malades du Covid privés des traitements à l’efficacité reconnue (...)

La particularité de l’IHU est aussi de proposer son protocole de soins à toutes les personnes testées positives, même lorsqu’elles ne sont pas malades. Elles sont alors admises en hôpital de jour : les traitements leur sont prescrits et elles doivent se soumettre à des examens cardiaques, sanguins, éventuellement à un scanner, à des tests PCR réguliers et à une sérologie du Covid au dixième jour. Tous ces patients et patientes signent un consentement à l’exploitation de leurs données cliniques en vue de recherches.

Tout cela a coûté très cher à l’assurance-maladie, comme l’a révélé le docteur Christian Lehmann dans Libération et comme le confirme l’inspection. (...)

In fine, pour les inspections, le protocole Covid de l’IHU peut lui aussi « revêtir une qualification pénale ». (...)

Autant de faits pour lesquels les inspecteurs pourraient, à l’issue de leur rapport définitif, saisir le procureur de la République. C’est ce qu’a déjà fait l’Agence du médicament, en avril, ayant constaté lors de son contrôle au sein de l’IHU « de graves manquements et non-conformités à la réglementation des recherches impliquant la personne humaine » et une falsification de documents.