
Avec la crise sanitaire, l’utilisation de pierres précieuses pour être en bonne santé séduit de plus en plus d’adeptes, lassés par la médecine traditionnelle. Influenceurs et médias s’emparent du phénomène, alors qu’aucune étude ne prouve le moindre effet curatif des minéraux.
Avidité des vendeurs
« Les formes graves du Covid-19 touchent les poumons, et les poumons, c’est le cœur. Plus nous serons dans le cœur, dans l’énergie du cœur, plus nous serons libérés de cette pandémie », écrit Eric Misme sur son site marchand, Planète Cristal. Il y propose des ateliers « Protection coronavirus et spiritualité » grâce aux prétendus pouvoirs des cristaux. Au téléphone, ce gemmologue de formation refuse d’abord catégoriquement de nous parler, il est gêné. A l’usure, il concède : « Les minéraux ne sont pas des médicaments, ils ne soignent pas. » Selon lui, ces précieuses pierres seraient des « outils vibratoires pour retrouver un équilibre perdu depuis deux ans en tant que soutien émotionnel et mental ». Traduction : les minéraux ne seraient pas amorphes et pourraient interagir avec le corps et l’esprit humain grâce à des énergies impalpables. Fini maux de gorge, de dos et de tête, angoisse, stress et dépression à qui saurait les utiliser. Il assure même que certaines pierres précieuses seraient capables d’accompagner une personne souffrant du cancer ou du Covid-19 sur le chemin de la guérison. Le hic, c’est qu’aucune étude scientifique n’atteste cette théorie.
En 2012, une femme atteinte d’un cancer est décédée après l’achat d’un lit de cristal à 5 000 euros, refusant tout soin conventionnel. Pas de quoi ébranler la foi des adeptes et l’avidité des vendeurs. Sur les réseaux sociaux, influenceurs et particuliers se font le relais de ce commerce juteux, promettant monts et merveilles contre l’achat révolutionnaire d’un de ces cristaux prétendument magiques. Des célébrités internationales n’hésitent pas à poser tout sourire avec leurs pierres préférées, à l’instar de la star de télé-réalité Kim Kardashian (283 millions d’abonnés sur Instagram), la chanteuse Adele (49 millions), ou la pop star Britney Spears (39 millions). Sous le hashtag #lithothérapie sur l’application de partage de vidéos TikTok, plus de 20 millions de vues rien qu’en France, 2 milliards dans le monde.
« Sollicitation de soins alternatifs »
De quoi intéresser de nombreux médias prêts à s’emparer de cette nouvelle poule aux œufs d’or. On ne compte plus les reportages au regard bienveillant diffusés sur les chaînes publiques et les articles dans la presse féminine. (...)
Sur le monde merveilleux d’Internet, des myriades de sites présentés comme des blogs bien-être et santé surfent sur la tendance pour vendre des produits en lien avec les pierres précieuses. Certains proposent même des élixirs à ingérer et des gourdes pour faire infuser des cristaux. Or, certaines pierres peuvent contenir des métaux lourds et mortels, comme le plomb ou le mercure. (...)
« Alarmant », pour la sociologue des sciences et des croyances Romy Sauvayre, pour qui ce nouvel engouement est cohérent avec la situation mondiale actuelle : « Le Covid est arrivé à un niveau épidémique alors qu’il n’y avait pas encore de remède. Il a donc généré des sollicitations de soins alternatifs. » Bien que la lithothérapie soit une pratique popularisée dès les années 70 avec l’avènement du développement personnel, elle trouve avec la crise sanitaire un nouveau public ayant perdu la foi dans la médecine traditionnelle. N’importe qui serait susceptible d’y croire. « Il faut juste tomber sur un atome crochu, comme la peur du vaccin par exemple. Vous allez chercher une autre solution et ce sentiment subjectif de se sentir mieux aura la force d’une preuve plus importante que la science. »
« Théories pseudo-scientifiques »
La chercheuse ne prend pas le phénomène à la légère : adhérer à la lithothérapie ouvre la voie à d’autres croyances, de l’astrologie jusqu’au complotisme, selon un effet d’escalade. (...)
Dans l’adhésion des croyances marginales, les « gourous » mêlent toujours des éléments vérifiables à des croyances fallacieuses pour donner du poids à leur discours. Ils mettent en avant une forme d’élitisme vis-à-vis du reste de la population : « Ils ont l’impression d’avoir des connaissances que d’autres n’ont pas, même les scientifiques. C’est une sorte de patchwork de croyances qui se donnent du sens les unes avec les autres. »
Les scientifiques, eux, sont formels : aucune étude ne prouve le moindre effet curatif des minéraux, encore moins l’existence d’énergie en émanant. « L’énergie vibratoire au sens lithothérapique, ça n’existe pas. Il n’y a que les pierres radioactives qui en ont. Le reste, ce sont des théories pseudo-scientifiques », balaie le physicien et directeur de la collection des minéraux de la Sorbonne, Jean-Claude Boulliard, d’un revers de la main. Selon une étude du chercheur britannique Chris French datant de 2001, le seul effet des pierres précieuses est un effet placebo. Après avoir distribué à 80 volontaires un cristal de quartz avec lequel méditer, le résultat est clair comme de l’eau de roche : les participants ayant le plus fort niveau de croyance dans les phénomènes surnaturels ont ressenti les plus forts effets. Or, la moitié du panel avait en réalité écopé d’un simple bout de verre.
« Il y a des gentils rêveurs un peu fous, commente Jean-Claude Boulliard, mais il y a aussi des escrocs affichés et c’est eux le problème. Ils mettent une couche scientifique à leur croyance et les contours du réel deviennent flous. » Le physicien se rappelle ces fois où, croyant être invité à des événements de gemmologie, il s’est retrouvé médusé, parmi des centaines de spectateurs, à l’écoute de conférenciers dont le but final était de vendre colliers, bracelets et autres bijoux talismans contre tous les maux possibles et imaginables. (...)
« Ce n’est pas la pierre qui marche, c’est la croyance qui fait marcher la pierre. »