
En rendant compte de la Brève histoire culturelle de l’Europe publiée dernièrement par Emmanuelle Loyer (Flammarion, 2017), nous faisions remarquer une des originalités de l’ouvrage, qui consistait à avoir introduit la question du genre et du sexe dans l’analyse de cette histoire culturelle. Certes, ce n’est pas le seul ouvrage à avoir choisi aussi ce prisme d’analyse. Mais l’occasion était donnée de constater qu’enfin, les recherches et analyses sociales et historiques perdent de leur superbe machiste. Le livre de Geneviève Fraisse, traversé par les mêmes exigences et réédité cette année, confortait dès 1989 cette nécessité, et prouvait il y a presque trente ans que nous devions reprendre nombre de travaux anciens, afin de parfaire et de rajuster nos connaissances à ce sujet.
L’exclusion des femmes
On sait tout de même que des femmes se sont montrées héroïques durant toute la Révolution française. Des noms sont demeurés en mémoire : Olympe de Gouge, Madame Roland... Mais cela n’est pas suffisant. Il convient encore de déployer deux niveaux de recherche. Le premier est celui de la multiplication des noms et des activités de femmes durant cette période. Ils ne sont pas exactement « inconnus » ; ils ont plutôt été ignorés. Le second est celui de la compréhension d’un paradoxe : les femmes interviennent dans les tribunes et les clubs de la Révolution dès son commencement, mais elles sont politiquement chassées des clubs et de l’armée en 1793. Avec la Révolution, elles gagnent en droit civil un statut d’individu qu’elles perdent aussitôt avec le Code civil de 1804.
Les événements qui se déroulent durant la Révolution sont donc traversés de données contradictoires. Un principe d’égalité aussitôt réservé à certains individus, un principe d’universalité qui se restreint, une théorie politique d’un partage inégal entre les sexes et d’un pouvoir différencié entre les hommes et les femmes. En un mot, il faut donc expliquer à la fois l’égalité et l’inégalité – dont ne souffrent pas uniquement les femmes, mais aussi les « sauvages », les « races » et les classes. Et c’est ce parcours que propose l’auteure. Tout un travail de reformulation de ces distinctions se construit au début du XIXe siècle. L’identité dans l’espace du droit n’implique pas l’égalité dans la société. On se demande alors si les femmes ont une raison, semblable à celle des hommes ; si oui, peuvent-elles s’en servir, ont-elles le droit de savoir autant et comme les hommes ? Autant de thématiques qui meublent encore de nombreux propos.
L’espace privé
Si des femmes du XVIIIe siècle étaient présentes dans l’espace public, les femmes du XIXe siècle ont été repoussées vers la sphère domestique. Tel est le constat de départ. L’inégalité d’attribution des espaces devient flagrante à partir de ce moment-là : le partage s’amplifie, il devient exclusion des femmes et s’opère sans le dire, sans se voir, pour que la contradiction de la proclamation égalitaire révolutionnaire ne saute pas aux yeux.
Et l’auteure de montrer que dans le passage de l’Ancien au nouveau Régime, les droits de l’homme – on ne peut dire de « l’humain » qu’à certaines conditions – ne seront pas ceux de la femme ; non par oubli, mais par une nécessité interne qu’il faut percevoir. G. Fraisse s’attache alors à donner une image globale du mécanisme d’exclusion partant de la différence sexuelle. Elle relate les polémiques autour de la raison des femmes. Elle indique aussi que la discrimination des femmes prend des formes historiques qui renvoient aux enjeux sociaux et politiques. (...)
La voix de la nature
Les arguments utilisés afin de renforcer la domination sont légion. En général, ils sont désormais bien connus, mais pas toujours reconnus, puisqu’encore utilisés. En revanche on étudie moins les recours des arguments avancés. Par exemple, celui selon lequel la Nature, avant même la Raison, aurait fondé la différence des sexes. La Nature aurait ordonné les sexes pour que les uns fassent la guerre et les autres construisent le bonheur du foyer. Mais c’est surtout à la rigidité de l’image qu’il faut s’arrêter, note l’auteure.
L’argument est largement déployé : la Nature, qui est ce qu’elle est, donc immuable, est aussi perfection. Or elle aurait instauré une échelle des êtres, selon un plan qui suppose hiérarchies et préférences. (...)