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AfriqueXXI
Cameroun. Les féminicides enflamment le débat public
#Cameroun #feminicides
Article mis en ligne le 14 septembre 2025

Si ces crimes sexistes sont davantage visibilisés, grâce notamment à l’action des militantes féministes, leur nombre reste très sous-estimé, dans une société fortement patriarcale, démunie d’un instrument coercitif adapté, et qui abandonne les familles des victimes à d’interminables et vaines démarches pour obtenir justice.

Envoyé spécial à Yaoundé et à Douala.

En cette matinée du 9 juin, le réveil est particulièrement difficile pour Parfait Eli depuis l’enterrement de sa sœur de 24 ans. Jacqueline Essimbi, en poste à la présidence de la République du Cameroun, a été mortellement frappée par son compagnon, l’officier de police Bertrand Essomba. Dans le domicile familial de la défunte, au quartier Ahala Barrière, dans l’arrondissement de Yaoundé 2, cette tragédie est perçue comme un drame « qui pouvait être évité », selon les mots de Parfait Eli. (...)

En fuite, l’officier de police suspecté a été rattrapé par la gendarmerie, qui a ouvert une enquête sur laquelle la famille n’a pas souhaité communiquer. Pour Parfait Eli, il faut « que justice soit faite et que jamais plus une autre femme ne puisse être victime de cet homme ! ».

Des chiffres élevés et un climat d’impunité

Dans un document publié le 8 mars 2021 à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, l’Institut national de la statistique (INS) du Cameroun indique que 45,5 % des femmes interrogées ont subi, à un moment de leur vie, une forme de violence. Les violences conjugales sont également constatées chez les femmes enceintes, avec un pourcentage de 5 % au niveau national et de 8 % en milieu rural. Mais les spécialistes estiment que ces chiffres sont en deçà de la réalité, nombre de victimes renonçant à déposer plainte pour des raisons culturelles, pratiques et financières. De janvier à mi-août de cette année, le collectif d’associations Stop féminicides 237 a répertorié quarante féminicides. (...)

Le Code pénal camerounais punit de cinq à dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 100 000 à 200 000 francs CFA (152 à 304 euros) les auteurs de viols. Les violences sur femmes enceintes, en cas de mort de l’enfant à naître, sont punies de la même peine de prison et d’une amende de 100 000 à 2 millions de francs CFA. Les blessures causées par des violences sont punies de six jours à quinze ans d’emprisonnement, peine aggravée en cas d’utilisation d’une arme ou d’une substance dangereuse. Mais cet arsenal judiciaire reste sous-utilisé, et la violence conjugale et le viol souvent impunis.

Les militantes féministes réclament donc l’adoption d’un texte spécifique pour lutter contre les féminicides permettant une prévention et une répression plus efficaces. Dans ce cadre, une rencontre entre Stop féminicides 237 et la Commission des affaires culturelles, sociales et familiales de l’Assemblée nationale s’est tenue le 18 juin. Plus largement, les activistes ont recommandé l’adoption rapide de la loi contre les violences sexistes et sexuelles (en chantier depuis novembre 2023), la prise en charge psychosociale des enfants des victimes et l’abrogation des lois dites « féminicidaires », qui permettent au mari, par exemple, d’assurer la gestion totale des biens du foyer et d’empêcher sa femme de travailler. Elles demandent aussi la mise sur pied d’un tribunal des affaires domestiques pour pallier la lenteur de la chaîne judiciaire, la généralisation des « gender desk » promis par le gouvernement et la formation systématique des policiers.

Un phénomène « en forte recrudescence »

« Il faut continuer à se faire entendre au cœur même du système législatif de notre nation », plaide Viviane Tathi, présidente de l’association Sourires de femmes-Cameroun, spécialisée dans les questions de violences faites aux femmes. (...)

Au ministère de la Promotion de la femme et de la Famille, on affirme vouloir se doter de tous les moyens pour prendre le dessus sur un phénomène en forte recrudescence. (...)

Sur les quarante cas de féminicides enregistrés de janvier à mi-août, à peine une dizaine font l’objet de procédures judiciaires. (...)

Si le dépôt d’une plainte est théoriquement gratuit, les agents réclament souvent « du carburant » (un pot-de-vin) pour se déplacer dans le cadre d’une enquête. Face à ces difficultés, les associations proposent aux familles de les aider dans leurs démarches et de les mettre en contact avec leurs avocats.

Beaucoup de victimes sont issues de milieux sociaux modestes (...)

« Une société en pleine crise symbolique »

Marthe Adjanie Nguimsahmé est doctorante en anthropologie du développement à l’université de Yaoundé I. Les féminicides sont « aussi vieux que le monde dans nos sociétés patriarcales », dit-elle. Mais la « visibilité » de ces crimes et le fait qu’ils « suscitent désormais une indignation publique » sont des phénomènes nouveaux. Les communautés, du fait de l’archétype patriarcal qui parcourt la société, ont intégré « une certaine violence domestique ou conjugale dans les normes sociales et familiales », poursuit-elle. Les relations entre les hommes et les femmes sont régies par des logiques de « hiérarchisation genrée », où l’homme est perçu comme le détenteur de l’autorité et de la légitimité décisionnelle dans le foyer. Les féminicides sont la conséquence de cette banalisation masquée par le silence familial, justifié par une lecture culturelle et morale des conflits conjugaux.

Au Cameroun comme ailleurs, la place du secret familial est importante, car il protège l’image de la famille. Les associations de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles sont confrontées à cette dure réalité : « Il arrive que ce soit la famille de la victime qui s’oppose à toute poursuite judiciaire », dit Viviane Tathi. (...)

Peu de familles sont prêtes à franchir le pas du scandale, confirme Viviane Tathi. Dans certaines communautés, un procès est perçu comme une perspective de honte. Les activistes assurent œuvrer à la « réduction de cet isolement symbolique » par un appui militant, juridique et social.

« De la possession plutôt que de l’amour » (...)

Certains hommes recourent à la violence pour affirmer leur domination : « La plupart des féminicides sont nourris par la volonté de l’homme de contrôler, voire de posséder à sa guise les rentrées financières de sa conjointe. » (...)