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Traversées à la nage vers Ceuta : "Les femmes qui prennent cette voie bousculent les représentations sociales"
#Maroc #femmes #migrantes #emigration
Article mis en ligne le 15 septembre 2025
dernière modification le 12 septembre 2025

Depuis plus d’un an, les femmes marocaines sont de plus en plus nombreuses à tenter, à l’instar des hommes, de rejoindre l’enclave espagnole de Ceuta à la nage. Comment expliquer ce phénomène ? Comment est-il perçu par la société marocaine ? Entretien avec Ali Zoubeidi, spécialiste de l’immigration basé au Maroc et consultant auprès d’organisations internationales.

InfoMigrants : L’an dernier, nous vous avions interrogé sur la féminisation de la migration du Maroc vers les enclaves espagnoles. Ce phénomène nouveau s’est-il confirmé ?

Ali Zoubeidi : Oui et il s’est même amplifié. Aujourd’hui, de plus en plus de femmes, même mineures, risquent leur vie pour rejoindre à la nage l’enclave de Ceuta, à l’instar des hommes. (...)

Ces actes bousculent les représentations sociales car l’endurance et la force - nécessaires pour nager jusqu’aux rives espagnoles - sont des qualités généralement attribuées aux hommes dans la société marocaine. La femme est perçue comme dépendante du cercle familial. Dans notre société, on stigmatise les femmes en estimant qu’elles ne peuvent rien faire sans les autres.

Mais en franchissant cette barrière à la nage seules, elles prouvent qu’elles sont aussi capables de le faire, au même titre que les hommes. Une femme qui prend son avenir en mains, cela choque l’opinion.

IM : Comment expliquez-vous que les femmes sont de plus en plus nombreuses à partir vers l’Espagne ?

A.Z : La précarité et l’absence de perspectives professionnelles au Maroc poussent les jeunes, que ce soient les femmes ou les hommes, à partir.

Pour les femmes, cette recrudescence des tentatives s’explique principalement par la médiatisation de leur voyage. Beaucoup de personnes filment leur traversée et leur arrivée en Espagne, à l’instar de Chaimae El Grini. (...)

Ces femmes deviennent donc naturellement des modèles à suivre pour celles restées au Maroc, qui se disent que c’est possible. Elles donnent l’impression d’avoir réussi en étalant leur vie sur leurs réseaux sociaux.

Certaines évoquent bien leurs difficultés lors de la traversée et le fait qu’elles ont frôlé la mort. Mais ce que retiennent les autres, c’est qu’elles ont réussi malgré les obstacles. Cela donne envie.

IM : On remarque également une hausse du nombre de femmes sportives qui prennent la mer vers l’Espagne…

A.Z : Oui, il y a encore quelques jours on apprenait qu’une jeune joueuse de football du club de Tamuda Bay [dans le nord du Maroc, ndlr] avait rejoint Ceuta avec une amie. (...)

IM : On peut dire que les profils des migrants qui tentent de rejoindre l’Espagne ont profondément changé ?

A.Z : Oui totalement. Aujourd’hui, le migrant irrégulier n’a pas du tout le même profil qu’il y a quelques années. Avant sur la route, on voyait surtout des personnes sortant de l’orphelinat ou des enfants de la rue. Désormais, ce sont principalement des jeunes qui travaillent, qui sont insérés dans la société marocaine. Ils ne sont pas à la marge ou hors système, mais ils ne voient pas d’avenir ici.