
Le Covid-19 est bien né dans un marché aux animaux vivants de Wuhan, assurent de nouvelles études scientifiques. Chiens viverrins et visons, élevés par millions pour leur fourrure, ont transmis le virus à l’humain.
Dans le débat qui oppose les partisans de la zoonose naturelle à ceux de la fuite de laboratoire, la parution récente de deux études scientifiques réalisées par des équipes de recherche internationales marque un tournant. Elles démontrent que le « wet market » — marché au frais — de Wuhan, en Chine, est bien le premier épicentre de la pandémie et que deux contaminations animal-humain distinctes y ont eu lieu dans les premières semaines de novembre 2019, à environ une semaine d’intervalle.
L’identification du marché comme origine de la diffusion du Covid-19 en décembre 2019 est une forme de retour au point de départ. Dans un premier temps, il y a deux ans, elle semblait faire consensus à la fois dans la communauté scientifique et pour les autorités de santé chinoises. Celles-ci avaient procédé à la fermeture du lieu le 31 décembre 2019 dans la nuit, après avoir constaté une accumulation de patients hospitalisés pour pneumonie atypique sévère parmi ses usagers. Dans l’Asie du Sud-Est, les marchés où sont vendus des animaux vivants jouent traditionnellement le rôle de sentinelle ou de « signaux d’alerte » pour l’émergence des grippes. En Chine, on redoutait notamment l’apparition de cas de H5N1 à partir de la volaille et d’autres maladies respiratoires d’origine aviaire. Ces craintes faisaient de longue date des wet markets des lieux controversés : décriés par certains tout en étant appréciés par d’autres pour la disponibilité en produits frais et/ou abattus sous les yeux du client.
Les chercheurs ont noté une diffusion à partir de l’aile qui commercialise des chiens viverrins (...)
Pour parvenir à ce résultat spectaculaire, l’étude internationale dirigée par Michael Worobey a repris l’ensemble des données collectées par le Center for disease control (CDC) chinois au cours de l’hiver 2019-2020 : témoignages et localisations des premiers cas humains, prélèvements environnementaux réalisés sur le marché, échantillons sanguins collectés par les hôpitaux de la ville pendant l’automne qui a précédé la survenue de l’épidémie. Le travail a consisté ensuite à utiliser des outils de cartographie et des logiciels de mathématique pour prouver que la distribution des premiers patients signalés ne devait rien au hasard. Non seulement ils sont globalement situés à une distance anormalement proche du marché, mais même lorsqu’ils n’y sont pas connectés ni n’en sont utilisateurs, leur répartition spatiale d’ensemble a pour moyenne – ou pour centre – le marché… À Wuhan, aucun autre lieu, même plus fréquenté, n’est dans une situation comparable.
À l’intérieur du Huanan market, les échantillons positifs ne se répartissent pas non plus au hasard. Leur distribution indique une diffusion à partir de l’aile qui commercialise des animaux vivants. Et plus particulièrement, pointe vers un stand pour lequel on dispose de preuves photographiques que des chiens viverrins y ont été enfermés en octobre, novembre et décembre 2019. Appelés aussi « raccoon dogs », il s’agit d’animaux élevés en Chine par millions pour leur fourrure, souvent en compagnie de renards et de visons dont le poil est moins précieux pour l’industrie textile. (...)
D’innombrables petites exploitations d’élevage d’animaux sauvages ont été fermées au printemps 2020. Aucune n’a été inspectée avant de disparaître. Seules les fermes à fourrure ont pu continuer, pour une bonne part d’entre elles, à ceci près que la vente des carcasses de visons, renards et chiens viverrins à destination de l’alimentation humaine est devenue illégale. (...)
Dans son étude, Michael Worobey prend soin de ne pas s’aventurer dans des conjectures incriminant le pouvoir chinois. Il note tout de même que George Gao et ses équipes n’ont pas réalisé les échantillonnages nécessaires. Il faut dire que si elle était involontaire, une telle maladresse serait difficile à expliquer (...)
à partir de fin février 2020, l’ensemble des informations pouvant faire l’objet de publications concernant l’épidémie sont tombés sous le coup de la censure chinoise, en vue d’un « déploiement coordonné » Les chercheurs, dont l’instigateur principal Xiao Xiao, ont été contraints au silence. Le fait que dans cette équipe travaillait aussi un chercheur britannique et une chercheuse canadienne n’est pas étranger à ce que les résultats aient fini malgré tout par être déterrés et paraître. Trop tard toutefois pour être mobilisés par la mission de l’OMS en visite à Wuhan quelques mois plus tôt et aiguiller ses conclusions.
Des études à prendre avec des pincettes
Cette étude a cependant motivé le travail de Michael Worrobey et de ses collègues en les poussant à la corroborer. Enfin et surtout, dans une dernière étude connexe à celle qu’il a publiée dans Science, Michael Worobey et son équipe ont établi, en s’appuyant sur un raisonnement phylogénétique et ce qu’il nomme une « horloge moléculaire », que deux lignées virales du Sars-CoV-2 ont éclos sur le marché Huanan en novembre 2019.
Une lignée A et une lignée B non descendantes l’une de l’autre. Les chercheurs en déduisent qu’il n’y a pas eu une unique contamination animal/humain, mais au moins deux contaminations distinctes réussies dans cette période pré-épidémique, à 8 ou 15 jours d’intervalle. Selon eux, le virus ne circulait pas à Wuhan avant ces transmissions. Cela les amène à conclure qu’il est presque impossible qu’une fuite de laboratoire puisse être à l’origine de la pandémie. En effet, si leurs conclusions sont exactes, il aurait fallu qu’à deux reprises dissociées dans le temps, un opérateur contaminé travaillant dans un laboratoire se retrouve en situation de diffuser le virus dont il aurait été porteur à l’intérieur du wet market.
Pour rigoureuse et convaincante qu’elle soit, cette dernière partie de la démonstration de M. Worobey et des chercheurs qui s’y sont associés ne devrait pas clore le débat. En effet, la divulgation récente et forcée de documents de demandes de subvention par l’Institut américain de la santé a récemment livré de nombreux détails problématiques sur les projets menés par l’ONG Ecohealth de Peter Daszak avec l’institut de virologie de Wuhan. On relève que de ce côté-là aussi se sont accumulés les omissions, les occultations et les contre-feux pour empêcher le public d’y voir clair et de s’inquiéter au sujet de pratiques expérimentales potentiellement risquées pour la santé humaine qui s’y déroulaient. Or, plusieurs des scientifiques qui ont cosigné l’étude de Michael Worobey font partie de ceux qui sont venus discrètement mais sûrement à la rescousse de Peter Daszak, dès le début 2020 lorsqu’on a commencé à mettre en question l’activité du laboratoire et son rôle potentiel dans la pandémie. Parfois sans mentionner leurs conflits d’intérêt et en taisant les mobiles réels de leur prise de position.