À 34 ans, Zohran Mamdani triomphe au terme d’un parcours qui l’aura mené de Kampala, capitale de l’Ouganda où il est né, à New York, où il s’est imposé comme un phénomène politique. Alors que Trump s’en prend aux migrants, son histoire s’inscrit dans celles de générations de New-Yorkais venus d’ailleurs.
En novembre 2024, peu après la défaite de la candidate démocrate Kamala Harris face à Donald Trump, Zohran Mamdani était allé à la rencontre du public dans le Bronx et dans le Queens, deux quartiers populaires de New York. Portant une pancarte où il était inscrit « Parlons de l’élection », il interpellait, à Fordham Road et Hillside Avenue, souvent dans la plus grande indifférence, les passant·es, pour les interroger sur le résultat de la présidentielle.
Candidat anonyme aux primaires démocrates pour les municipales à l’époque et pas du tout favori, ce jeune élu local avait fait filmer ces scènes où les interlocuteurs et interlocutrices expliquaient avoir voté pour Donald Trump et perdu foi dans le Parti démocrate. « J’ai eu l’impression de juste choisir le moindre entre deux maux », lui disait une femme. Une autre jugeait qu’il n’était pas possible « de se dire démocrate et soutenir le génocide en cours à Gaza ». « J’aime les démocrates, mais je n’aime pas ce qui se passe à Gaza. Beaucoup de gens meurent », expliquait un vieil homme.
Dans cette vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, qui allait lancer une campagne victorieuse et en annonçait bien d’autres, l’inconnu Zohran Mamdani en avait profité pour expliquer son programme en trois points : le gel des loyers, un système gratuit de garde d’enfants et des bus également non payants. Le tout en taxant les plus riches. (...)
né d’une mère artiste, la cinéaste indienne Mirai Nair, et d’un père ougandais d’origine indienne, universitaire à Columbia et spécialiste des questions coloniales et postcoloniales, Mahmood Mamdani. Il a vu le jour à Kampala, capitale de l’Ouganda, en 1991, l’année de la disparition de l’Union soviétique. (...)
Zohran Kwame Mamdani suit ses parents aux États-Unis, huit ans plus tard, lorsque son père se voit proposer un poste de professeur titulaire à la prestigieuse université Columbia. Le couple côtoie des sommités comme le grand intellectuel palestinien Edward Saïd et son épouse l’écrivaine et activiste Mariam Saïd. Au New Yorker, Mahmood Mamdani confie que « pour Zohran, ils étaient comme des oncle et tante ».
Mais le jeune homme semble vouloir orienter sa carrière professionnelle du côté artistique, comme sa mère. Il embrasse une carrière de musicien et chanteur de rap sous le pseudonyme de Young Cardamom (« Jeune cardamome »), prêtant concours à Mira Nair pour la musique d’un film qu’elle réalise pour Walt Disney, La Dame de Katwe (sorti en 2016). Il sort même un EP en duo avec un rappeur ougandais, HAB. (...)
Mais finalement, c’est la politique qui va décider de sa vie. Après avoir travaillé sur les questions de logement à New York au sein d’une organisation comme conseiller en prévention des saisies immobilières, il est élu, à partir de 2020, à l’Assemblée de l’État de New York.
L’un de ses faits de gloire pendant cette période est son soutien au mouvement de grève des taxis new-yorkais, qui n’en pouvaient plus des dettes accumulés pour pouvoir acheter les licences nécessaires à l’exploitation des taxis jaunes. Les grévistes obtiennent gain de cause auprès du maire Bill de Blasio, qui accepte de restructurer la dette. Zohran Mamdani s’est engagé à leurs côtés, observant une grève de la faim de quinze jours devant l’hôtel de ville.
Interrogé par le Guardian, un Mamdani épuisé explique n’avoir « pas ressenti depuis longtemps les émotions [qu’il a] ressenties [ce jour] ». Jusqu’à cette campagne pour devenir maire de New York, dans laquelle on retrouve sa veine artistique dans les vidéos qu’il réalise, et son énergie d’organisateur dans sa capacité à mener du porte-à-porte toute la journée et à aller discuter avec celles et ceux qui ne sont pas forcément en accord avec lui.
Ross Barkan se souvient d’un « maître en matière de démarchage électoral, capable de charmer même les partisans enragés MAGA qui, par paresse ou par dépit, étaient encore inscrits comme démocrates ». « Zohran adorait persuader les gens, poursuit le journaliste transformé en candidat l’espace d’une campagne. Un électeur hostile n’était pour lui qu’une opportunité. » (...)
Andrew Cuomo n’avait cessé pendant la campagne d’attaquer Zohran Mamdani en raison de ses positions critiques envers Israël et de sa dénonciation du génocide commis à Gaza. Mais, à la fin de la campagne, il a carrément exprimé une islamophobie ouverte, suscitant la réprobation même chez des démocrates qui n’approuvent pas les points de vue de Mamdani. (...)
Ce dernier a répondu dans un discours marqué par l’émotion, prononcé devant une mosquée du Bronx. Il a dénoncé les attaques « racistes et sans fondement » dont il a été victime, soulignant qu’elles illustraient l’islamophobie à laquelle les musulmans de New York sont confrontés quotidiennement. Dans une interview sur la chaîne de télévision MSNBC, le candidat a jugé que « l’islamophobie est un phénomène endémique dans la politique de ce pays ». « Nous avons vu ce phénomène se normaliser, a-t-il poursuivi. Nous avons vu qu’il était accepté. »
En janvier, il sera le premier maire musulman de New York, marquant l’histoire de la ville et des États-Unis. Dans son dernier grand meeting de campagne, fin octobre, Zohran Mamdani a dénoncé ses rivaux qui « ont cherché à faire de cette élection un référendum, non pas sur la crise du coût de la vie qui ronge l’existence des New-Yorkais, mais sur la religion à laquelle j’appartiens et la haine qu’ils cherchent à normaliser ».
Il s’est engagé aussi à gouverner pour toutes et tous, soulignant qu’il avait discuté avec des New-Yorkais ayant voté pour Trump et qu’ils étaient loin de la caricature qu’on en faisait. Pour ce faire, il s’était rendu, a-t-il rappelé, « dans deux des endroits qui ont connu les plus grands revirements vers la droite : Fordham Road et Hillside Avenue ». Là où son chemin a commencé en novembre 2024.