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le Point
« Vous n’êtes avec nous qu’en façade » : le message poignant des récipiendaires iraniennes du prix Sakharov
#iran #MahsaAmini #IranRevolution #repression #femmes
Article mis en ligne le 20 décembre 2023
dernière modification le 18 décembre 2023

Les militantes Afsoon Najafi et Mersedeh Shahinkar, représentantes du mouvement « Femme, vie, liberté », estiment que l’Occident les a abandonnées.

La plus haute distinction européenne en matière de droits de l’homme a été décernée cette année à titre posthume à Mahsa Amini. La mort de cette jeune femme iranienne de 22 ans, décédée le 16 septembre 2022 après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour un voile mal porté, a provoqué l’an dernier le plus important mouvement de contestation de l’histoire de la République islamique sous le slogan « Femme, vie, liberté », également récompensé par le prix Sakharov du Parlement européen pour la liberté de l’esprit. Celui-ci a été mardi à Strasbourg à l’avocat de Mahsa Amini, Saleh Nikbakht, ainsi qu’à deux représentantes de « Femme, vie, liberté », les militantes iraniennes Afsoon Najafi et Mersedeh Shahinkar. (...)

Le Point : Qu’avez-vous exactement ressenti en recevant le prix Sakharov ?

Afsoon Najafi : Je suis très heureuse, car nous sommes en train d’atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé. Cela fait 44 ans que le peuple iranien lutte, mais au cours de l’année écoulée, qui correspond au mouvement « Femme, vie, liberté » et qui a pris le nom de Mahsa Amini, nous avons franchi une étape. Nos efforts ont été concrétisés et nous avons pu être la voix de notre peuple. Car personne ne sait réellement ce qui arrive en Iran et cette récompense nous permet de porter notre voix dans le monde entier et que les habitants des autres pays entendent parler des crimes commis par la République islamique. Il faudra encore beaucoup de temps pour qu’ils saisissent l’ampleur de ce qui est arrivé dans notre pays. (...)

Mersedeh Shahinkar : Je suis très heureuse, car le mouvement « Femme, vie, liberté » a été officiellement reconnu, et est de fait arrivé à ses fins. Ce sentiment donne un regain d’énergie, ainsi qu’un nouvel espoir aux gens qui continuent à lutter à l’intérieur de l’Iran. Mais ce n’est que le début du chemin et il nous reste beaucoup de travail pour arriver à l’objectif final que nous souhaitons. À travers les discussions que nous avons eues au Parlement européen, il apparaît que nos interlocuteurs n’avaient pas saisi la mesure des massacres qui ont eu lieu en Iran. Malheureusement, ils ignorent l’ampleur des morts, des blessés, et le fait que de nombreuses personnes sont toujours emprisonnées et torturées (au moins 551 manifestants ont été tués depuis septembre 2022, dont 68 enfants et 49 femmes, selon l’ONG Iran Human Rights, NDLR).

Auparavant, la République islamique agissait en secret afin que le monde ne sache rien de ses crimes. Mais au cours de l’année écoulée, nous avons contribué, avec les familles des victimes, à révéler ses agissements. (...)

La population souhaite également que l’Europe et les États-Unis sanctionnent davantage les hommes politiques iraniens et qu’ils fassent pression sur la République islamique. Car lorsque les intérêts du régime sont en danger, que ses responsables ne peuvent plus tranquillement voyager en Europe et que leurs enfants ne peuvent plus mener la belle vie en Occident, alors celui-ci se trouve obligé de reculer. Maintenant, je tiens à rappeler que le peuple iranien ne veut en aucun cas arriver à un compromis avec la République islamique. Il ne cherche pas à réformer le régime, mais à le renverser.

Comprenez-vous que l’Union européenne ait refusé de placer les gardiens de la Révolution, l’armée idéologique du régime, sur sa liste des organisations terroristes, comme l’a réclamé dans une résolution le Parlement européen ?

A.N. : Elle ne le fera pas, car elle n’y a pas intérêt. Les relations politiques des pays européens avec l’Iran sont en jeu. Les concessions que la République islamique est prête à leur faire sont visiblement plus importantes à leurs yeux que la vie des Iraniens, de sorte qu’ils restent silencieux après le meurtre d’un enfant de 10 ans (le jeune Kian Pirfalak a été tué par balle le 16 novembre 2022 à Izeh, dans le sud de l’Iran, NDLR). Nous sommes donc, Mersedeh et moi-même, ici à Strasbourg, pour dire que vous n’êtes avec nous qu’en façade. Cela fait un an et trois mois que toutes ces atrocités sont arrivées en Iran, et vous n’avez fait que des déclarations. Peut-être qu’au départ celles-ci nous rendaient heureuses en pensant que nos voix étaient entendues, mais nous nous sommes peu à peu rendu compte que cela n’était pas le cas et que l’on se moquait de nous. Cela nous a plongées dans une profonde colère.

Comment se fait-il que toutes ces personnes soient tuées, blessées et disparues, et que vous ne fassiez part que de vos regrets ? À quoi diable cela nous sert-il ? Vous, qui vous targuez de défendre les droits de l’homme, pourquoi avez-vous soutenu ce régime dans sa répression au cours de l’année écoulée en lui vendant des munitions ? (...)

Après la remise du prix Sakharov, vous devez être à nos côtés, car vous nous l’avez vous-même promis devant les caméras. Vous devez rompre avec ce régime criminel. (...)

Si les responsables politiques en Europe se souciaient vraiment du sort des populations, alors ils se dresseraient contre ces agissements. Mais ils ne pensent qu’à leurs propres intérêts. (...)