
« En six mois, je suis devenue nonagénaire. » Fleur Breteau, 50 ans, est malade d’un cancer. Horrifiée par la proposition de loi Duplomb et le champ libre laissé aux pesticides, elle a fondé le collectif « Cancer Colère ».
À couvert sous une casquette Carhartt, un homme se hasarde à un timide coup d’œil. Juste une seconde. Peut-être moins encore. Une valse assez furtive pour assouvir sa curiosité, sans s’enliser dans une gênante intrusion. Raté. « Les passants me dévisagent en permanence, murmure Fleur Breteau. Mon corps a tellement changé que je peine à me reconnaître. » Malade d’un deuxième cancer du sein, la Parisienne porte sur son crâne l’absence de ce que la chimiothérapie lui a dérobé. Cette nudité, symptôme visible « d’un système en train de se retourner contre nous ». (...)
Son dessein ? Politiser cette maladie, à l’heure où la proposition de loi Duplomb prévoit de réautoriser l’acétamipride — un pesticide interdit depuis 2018.
La littérature scientifique a déjà commencé à établir une corrélation claire entre l’exposition aux néonicotinoïdes et l’augmentation du risque de cancer. « Ces saloperies perturbent la duplication de nos cellules, métamorphosant des maladies en véritables phénomènes de société, s’insurge Fleur Breteau. Le scandale du cadmium est révélateur. Même nos tartines et céréales du petit dej’ sont devenues des cancérogènes notoires à cause des engrais. » Dépliant une ombrelle pour abriter son épiderme à la sensibilité décuplée, elle ajoute : « J’en ai marre de me taire. Les politiques parlent du cancer comme une notion abstraite. Alors que non, ça n’a rien d’abstrait. »
Strass et brouillard
Début janvier, quelques jours avant d’entamer son traitement médicamenteux, Fleur Breteau avait invité une poignée de proches à déguster la galette des rois. Une épiphanie singulière, où ses amis firent vrombir la tondeuse. À mesure que tombaient ses cheveux, comme des feuilles en automne, fleurissait dans ses pupilles la lueur d’une force neuve. « Une fois mon crâne rasé, ma nièce et ma filleule m’ont maquillée. Un make up de star, avec des strass, se réjouit-elle. Prendre ainsi les devants a été un moment fort. Désormais, mon neveu de 3 ans rit parce que j’ai de petits poils sur la tête. » (...)
Un « tsunami » de cancers à venir
D’un bout à l’autre de l’allée menant à l’institut, des autocollants « Cancer Colère » ont été placardés sur les pylônes métalliques. L’hôtesse d’accueil lui tend un bracelet blanc, que Fleur Breteau enfile aussitôt. Elle a croisé ici des dizaines de trombines chahutées par les traitements chimiques. Une mère isolée, atteinte d’un cancer du sein et dont le fils de 10 ans a contracté une tumeur au cerveau. « Et il n’est pas le seul, précise-t-elle. Dans son école de Seine-et-Marne, deux autres gamins en sont victimes. »
Trois hommes, tous âgés d’une cinquantaine d’années et boulangers dans ce même département, ont aussi côtoyé les bancs de cette salle d’attente. « Le 77, ce sont les terres d’Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, syndicat agricole à l’origine de cette loi Duplomb. Le cynisme n’est pas un mot assez fort pour qualifier une telle injustice. »
Le 27 janvier, l’adoption de la proposition de loi par les sénateurs a constitué l’ultime électrochoc. « Mon sang n’a fait qu’un tour, poursuit Fleur Breteau. C’était d’une violence terrible. » En pleine séance de chimio, l’ancienne artisane couturière a griffonné un logo sur un morceau de papier. Cancer Colère venait de naître. (...)
Le 3 février, le professeur Fabrice Barlesi, à la tête de l’institut Gustave Roussy, alertait du « tsunami » à venir de cancers chez les jeunes adultes. « Ce n’est plus une maladie, c’est une épidémie, se désole la quinqua. Et que se contente de déclarer Emmanuel Macron ? Qu’il n’a pas de leçon à recevoir sur l’écologie. Il y a cinq ans, il parlait de guerre à l’heure du Covid. Désormais, il se mure dans le silence pour mieux préserver les intérêts économiques des plus riches. »
Aux yeux de Fleur Breteau, se réfugier derrière l’espoir de meilleures guérisons à l’avenir est insultant. (...)
Forte de son collectif naissant, Fleur Breteau cherche désormais à interpeller les législateurs. Céderont-ils à la pression des lobbies ? Voteront-ils pour que le cancer devienne « un rituel inévitable dans nos vies » ? Ces questions la hantent. « Voter la loi Duplomb, c’est voter pour le cancer. Ni plus, ni moins, enchaîne-t-elle, inépuisable dans l’art de convaincre. Voter la loi Duplomb, c’est admettre que chaque pomme croquée sera une nouvelle intoxication et qu’un grand nombre de nouveaux-nés naîtront avec de lourdes pathologies. » (...)