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Mediapart
Violences sexuelles en Ehpad : l’insupportable inertie de l’État
#violencessexuelles #viols #femmes #EHPAD
Article mis en ligne le 25 décembre 2023
dernière modification le 30 décembre 2023

Imaginez jetée dehors. Imaginez que vous êtes Marie*, 93 ans, continuellement allongée par la faute d’une leucémie et du poids des années. Que vous n’avez plus la force de marcher, même dans les couloirs de cet Ehpad où vous avez été placée il y a douze ans.

Imaginez encore que vos proches ont saisi le procureur de la République pour qu’on écarte votre agresseur. Imaginez qu’il reste en poste et que nombre de ses collègues sont solidaires avec lui.

Depuis quatorze mois « l’enquête est en cours », d’après le parquet. L’employé « conteste formellement les accusations », selon le groupe Korian qui gère l’établissement. Et jure que l’agent n’intervient plus « dans la prise en charge de la résidente ». Mais vous, vous avez peur.

Quant à l’Autorité régionale de santé (ARS) censée contrôler l’Ehpad, elle vous recommande de plier bagages. Elle demande à votre famille « d’apaiser les relations avec le personnel soignant », selon un courrier obtenu par Mediapart. La fauteuse de trouble, c’est vous. Vous, et vos proches qui vous soutiennent. (...)

L’histoire semble sortie d’un de ces cauchemars d’impuissance où l’on se débat, quand il n’y a plus rien à faire. Sauf que Marie, 93 ans, est bien réelle. À l’heure où vous lisez ces lignes, elle est certainement allongée dans la chambre de « sa maison », qu’elle angoisse de devoir quitter d’un jour à l’autre. « Pourquoi ce serait toujours aux victimes de partir ? », demande une proche en colère.

Dans l’ère post #MeToo, la question est surannée. Mais pas dans les maisons de retraites de France, où l’on préfère que nos anciennes disparaissent comme elles ont souvent vécu, sans faire de vague.

Un système porté par l’inaction des autorités (...)

Nous avions retrouvé la trace d’une centaine de victimes, dont près de la moitié (46 %) avait été agressées ou violées par des employés de leurs établissements. L’autre moitié des agresseurs étant les résidents et, dans une moindre mesure, les personnes extérieures à l’Ehpad – membres de la famille compris.

Il s’agissait là de la pointe émergée d’un iceberg dont les dimensions nous apparaissait, tout comme au ministère des solidarités, « monstrueux ». La plupart des parcours que nous avions retracés avaient terminé dans le silence de la tombe, avant même que la justice ne se soit prononcée. (...)

La promesse d’inclure les violences sexuelles dans la lutte contre les maltraitances est tombée aux oubliettes. Elle ne figure même pas dans la proposition de loi sur le « Bien vieillir » qui devrait être votée en 2024, comme l’indique à Mediapart le ministère des solidarités et des familles, dirigé par Aurore Bergé. Elle sera incluse dans le reste des mesures, précise-t-on de même source.

Pourtant, les violences sexuelles nécessitent une prise en charge dédiée. Et non un guichet unique avec les ARS et les conseils départementaux déjà surchargés qui se sont distingués jusqu’alors par leur passivité sur le sujet. (...)

Cette inertie du gouvernement a des conséquences concrètes. Depuis la publication de notre enquête il y a un an, nous avons été les destinataires de dizaines de nouveaux signalements. En faisant une simple recherche sur Internet, nous avons découvert 23 nouvelles affaires de viols ou d’agressions sexuelles en Ehpad ouvertes devant les tribunaux français. Combien faudra-t-il de victimes pour que le gouvernement s’y intéresse ? Combien de Marie pour qu’on les écoute ?

Il est temps que la parole de ces femmes et de leurs proches soit écoutée, que le gouvernement et les parlementaires prennent leurs responsabilités. Il est plus que temps que nos anciennes soient réellement protégées.

lire aussi :

Un droit de réponse de Korian

À la suite de l’article intitulé « Violences sexuelles en Ehpad : l’insupportable inertie de l’État », publiée le 23 décembre 2023, le groupe Korian nous a adressé un droit de réponse, que nous reproduisons ci-dessous.

« Korian étant directement cité et mis en cause dans cet article, celui-ci souhaite apporter les éléments de précision suivants :

1) Une enquête interne a été ouverte par l’établissement dès que la résidente a fait état, devant des membres de l’équipe de l’établissement, d’une situation pouvant potentiellement être assimilée à un viol et mettant en cause un aide-soignant faisant partie de l’équipe soignante et intervenant auprès de la résidente. Cette première enquête n’a pas confirmé la matérialité des faits, sachant que la résidente elle-même est revenue sur ses propos initiaux. Une enquête pénale a été déclenchée après le dépôt d’une plainte parmi la famille et des investigations approfondies ont été conduites par la police judiciaire et auxquelles l’établissement et les personnels ont apporté tout leur concours. La police judiciaire dispose de moyens d’investigation très importants, l’entreprise ne pouvant par ailleurs se substituer au Procureur de la République et aux services d’enquête. Là encore ces investigations n’ont pas confirmé l’existence de ce viol supposé, puisque, quatorze mois après le dépôt de la plainte, à la connaissance de l’établissement, le Procureur de la République n’a pas engagé des poursuites à l’encontre du salarié visé par la plainte. Ni l’autorité judiciaire, ni l’Agence Régionale de Santé (ARS) informée du dépôt de la plainte, n’ont recommandé la mise en œuvre de mesures conservatoires et notamment une mise à l’écart du salarié mis en cause.

2) La décision de maintien en poste du collaborateur au sein de l’établissement est conforme aux recommandations de l’ARS et a été prise après une procédure contradictoire conduite par la direction de l’établissement. A titre de précaution, après sa mise en cause, ce collaborateur a été écarté de la prise en soins de la résidente, qui a par ailleurs fait l’objet d’un suivi psychologique.

3) L’établissement aurait évidemment tiré toutes les conséquences, notamment disciplinaires, si les différentes enquêtes engagées avaient établi la matérialité des faits.

4) Il est regrettable que les autrices de l’article n’aient pas tenu compte des informations détaillées communiquées de manière transparente et contradictoire par Korian et se soient contentées de la version de l’une des parentes de la résidente en conflit avec l’établissement, version totalement contraire à la réalité. A cet égard, nous rappelons que l’établissement n’a jamais envisagé d’imposer à la résidente un changement d’établissement en raison de ses déclarations ou encore en raison de la plainte déposée par sa famille. La proposition d’un hébergement dans un autre établissement du groupe à égale distance du domicile de sa fille a été motivée par les difficultés relationnelles existant, depuis des années, entre le personnel et la famille de la résidente, ainsi que par les pressions constantes exercées par cette famille à l’encontre du personnel soignant. Ces difficultés ont conduit les salariés de l’établissement à exercer leur droit de retrait collectif, ce qui constitue une situation exceptionnelle. C’est d’ailleurs en raison du comportement adopté par la famille de la résidente à l’égard du personnel soignant, depuis des années, que le juge des tutelles a décidé, par une décision non contestée par la famille, de restreindre les droits de visite des proches de la résidente.

La rédaction de Mediapart
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