
Caribéennes, africaines, afrodescendantes : des femmes noires ont pensé et porté la citoyenneté française. Leurs trajectoires et leurs luttes souvent occultées donnent à voir une autre histoire de la nation, façonnée par le colonialisme, au prisme de la race, de la classe et du genre.
Marianne est aussi noire : Avec ce titre choc, repris de l’introduction de la version américaine de l’ouvrage publié en 2018, Silyane Larcher et Félix Germain inscrivent le livre qu’ils ont co-dirigé dans l’histoire politique de la France contemporaine. Une histoire résolument impériale et postcoloniale qui perturbe « l’appréhension courante des frontières nationales » (p. 20) et refuse « l’ombrelle étroite de l’État-nation » (p. 151). Une histoire qui replace les femmes noires au centre de la narration historique et mobilise l’approche intersectionnelle pour expliquer ce que la race, la classe et le genre font à la citoyenneté.
Un paysage scientifique et éditorial en plein renouvellement
Cet ouvrage rend d’abord visible la multiplication des recherches en sciences humaines et sociales sur des femmes « racialisées comme noires » (p. 12) qu’il s’agit de réinscrire dans « le grand récit sororal de l’émancipation des femmes de France et du monde » (p. 151). Ces recherches sont menées depuis longtemps aux États-Unis et dans le monde anglophone, mais aussi aux Antilles et, plus récemment, en France hexagonale. La politiste Silyane Larcher et l’historien Félix Germain, tous deux en poste aux États-Unis mais qui revendiquent leurs « positions situées de Caribéen·nes français·e·s » (p. 14), reviennent d’abord dans leur introduction sur la tendance lourde des sciences sociales à reléguer dans l’ombre « les expériences féminines noires propres à la société française » (p. 19), qu’ils lient au fait de penser que « toutes les femmes françaises étaient métropolitaines et blanches » (p. 16). Ils ajoutent que cette tendance persiste mais s’est atténuée depuis la parution originale de l’ouvrage en anglais en 2018. Un colloque sur « Les féminismes noirs en contexte (post) impérial français », co-organisé à Paris en 2020 par Silyane Larcher et certaines autrices du livre [1], plusieurs initiatives éditoriales de réédition ou traduction [2], des documentaires [3] ainsi que des mémoires de master rendent compte de ce dynamisme. (...)
Ouvrir la voix/voie. Pluralité et hétérogénéité des expériences (...)
L’ouvrage entend montrer qu’elles ont occupé l’espace public mais aussi pensé la résistance dans la sphère intime, contesté différentes formes d’oppression, questionnant leur sentiment d’appartenance à la nation française.
Riche de 19 textes [8], l’ouvrage mêle trajectoires de vie et moments de mobilisations, analyses de textes littéraires et de collectifs, essais de réflexion sur la francité, la colonisation, l’immigration. Il raconte des luttes collectives (...)
Repenser la citoyenneté
L’histoire des femmes et les études de genre ont depuis longtemps expliqué que la citoyenneté ne se limitait pas à l’exercice des droits politiques et que les Françaises de métropole, citoyennes sans citoyenneté (c’est-à-dire sans droit de suffrage et d’éligibilité) de la Révolution française à 1944, n’en ont pas moins été des actrices politiques. L’histoire des sociétés coloniales et impériales a aussi souligné depuis deux décennies la disjonction entre nationalité et citoyenneté dans l’Empire colonial français (...)
Silyane Larcher et Félix Germain (dir.), Marianne est aussi noire. Luttes occultées pour l’égalité, Paris, Seuil, 2024, 416p., 26,50 €