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Street Press
Un an après les émeutes, des policiers racontent leur désaccord sur le maintien de l’ordre
#police #emeutes
Article mis en ligne le 22 octobre 2024
dernière modification le 20 octobre 2024

Des policiers confient à StreetPress leurs désaccords avec l’institution au moment des émeutes de 2023. Choqués par les images du tir, ils se désolidarisent des choix de leur hiérarchie en termes de maintien de l’ordre.

« Notre taf est de maintenir l’ordre bla bla bla… On le sait. Mais comment tu fais quand tu es d’accord avec ceux qu’on te demande de matraquer ? » Un an après les émeutes, Mehdi (1) revient sur son émotion en voyant la vidéo du tir qui a tué Nahel, 17 ans. « C’était abusé », commente Thomas (1). Les deux agents sont amis depuis leur entrée dans la police. Ils racontent avoir grandi dans des quartiers de Mantes-la-Jolie (78) et de Sarcelles (95), touchés comme plus de 750 communes de France par des révoltes de jeunes en réaction à la mort du garçon de Nanterre. « On sait ce que c’est de se sentir surveillé, discriminé et de voir tes amis interpellés juste parce qu’ils n’ont pas la bonne couleur. » Après un temps, les deux hommes arrivent sur la même conclusion :

« On comprend leur colère. » (...)

Plusieurs policiers confient à StreetPress leurs désaccords, autant politiques qu’en termes de maintien de l’ordre, avec leur hiérarchie. Dépités, ils remettent en question un certain nombre de décisions de cette institution qu’ils ont choisi de rejoindre par vocation. Contraints par leur devoir de réserve, ils ne sont normalement pas autorisés à prendre la parole. Ces agents ont tous été anonymisés pour les protéger. (...)

L’ordre à tout prix

Dans les heures qui suivent la mort de Nahel, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, mais aussi le président de la République Emmanuel Macron, affirment que leur objectif est de rétablir « l’ordre ». « On a reçu la directive de procéder à des arrestations massives », se souvient Julien (1) dubitatif. « Il fallait ramasser le plus de jeunes possible. Il fallait “faire du chiffre” pour montrer qu’on maîtrisait la situation. » Le CRS de 37 ans tente de faire remonter son expérience sur le terrain à sa hiérarchie. Son chef lui aurait expliqué qu’il « n’était pas là pour réfléchir ». « Contrôle » et « fermeté », voilà ce qu’on lui aurait demandé selon son récit. Il poursuit :

« J’ai vu des gamins de 14 ou 15 ans se faire interpeller comme ça ! Simplement parce qu’ils traînaient dans le quartier. »

« On savait que la colère ne se calmerait pas avec des matraques ou de la lacrymo », soutient lui aussi Steph, remonté (...)

« Je devais soutenir mes équipes, mais je n’avais moi-même aucun soutien. Je recevais des ordres qui venaient de plus haut quasiment toutes les heures. Il fallait maintenir l’ordre, sans vraiment se soucier des conséquences sur nous. » Il explique avoir commencé à ressentir une pression qu’il n’avait jamais connue en 20 ans de métier. « Je ne dormais plus, j’avais des palpitations dès que je prenais mon service. » À force de tout accumuler, Sam a fini par craquer. « Un jour, j’ai fait un malaise dans les vestiaires. Mon corps a lâché. » Il continue :

« D’après mon médecin, j’ai fait un burn-out. Ça ne m’était jamais arrivé. »
(...)

une policière adjointe, raconte avoir été « bouleversée » par la gestion « discriminante » des émeutes. On lui aurait demandé d’interpeller « uniquement des jeunes à capuche », « pour anticiper les débordements », aurait expliqué sa hiérarchie :

« Les gardes à vue étaient blindées de jeunes à capuche. L’Officier de police judiciaire (OPJ) a inventé des motifs pour les garder au chaud. » (...)

« Pendant longtemps, j’ai cru en ce que je faisais. Mais ces dernières années, tout a changé », témoigne aussi Yann (1), brigadier-chef de police avec plus de 20 ans de métier. « Même les chefs risquent des sanctions s’ils s’opposent aux ordres. Surtout s’ils viennent d’en haut [du ministère, ndlr]. » L’institution lui demanderait des actions qui iraient « à l’encontre de ce que je crois être juste ». Après un temps, il conclut : « Je suis vidé. »