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Mediapart
Traitement judiciaire du viol : huit femmes veulent voir la France condamnée par la CEDH
#femmes #agressionssexuelles #viols #CEDH
Article mis en ligne le 5 mars 2024
dernière modification le 4 mars 2024

En 2022 et 2023, la Cour européenne des droits de l’homme a accepté de se pencher sur huit requêtes qui demandent la condamnation de la France dans des affaires de viols, pour des mauvais traitements, « stéréotypes de genre », ou encore « idéologie sexiste ». Ce chiffre est d’une ampleur inédite.l

(...) Certaines de ces affaires (« 36 quai des Orfèvres » ou Luc Besson) ont connu un fort retentissement médiatique. D’autres sont passées plus inaperçues. Mais dans tous les cas, la France a prononcé une relaxe, un acquittement ou un non-lieu. Toutes ces femmes estiment avoir été une deuxième fois victimes, par le traitement qu’a fait la France de leur témoignage tout au long de la procédure judiciaire. Interrogé sur ce point, le ministère de la justice n’a pas souhaité faire de commentaire.

Cette inflation des requêtes survient alors même que la France vient de s’opposer à une initiative européenne visant à intégrer la notion de consentement dans la définition du viol. Et que la justice française est à la peine dans son traitement des violences sexuelles. (...)

« La justice nous ignore, on ignore la justice. » En 2019, les mots d’Adèle Haenel expliquant, dans Mediapart, son choix initial de ne pas porter son affaire devant la justice en raison d’« une violence systémique » de l’institution à l’égard des femmes, avaient suscité de vives réactions au sein du gouvernement. « Il faut porter plainte de façon systématique », avait même déclaré Christophe Castaner, alors ministre de l’intérieur. Cette injonction à porter plainte est le discours tenu au plus haut sommet de l’État, et plus largement par les pouvoirs publics, lorsqu’une personne dénonce publiquement des violences sexuelles.

Des chiffres accablants

Pourtant, les chiffres concernant l’issue judiciaire de ces plaintes sont accablants. (...)

seules 9 % des victimes de viol portent plainte et, pour celles qui parviennent à passer la porte d’un commissariat, plus de la moitié de leurs plaintes sont classées sans suite au regard de leur seul témoignage, dont l’écrasante majorité pour le même motif : « infraction insuffisamment caractérisée ».

En janvier dernier, la France a par ailleurs été condamnée par la CEDH dans une affaire bien spécifique. Une femme avait dénoncé dans un mail les agissements sexuels de son supérieur hiérarchique. Celui-ci l’a attaquée en diffamation. Les tribunaux français ont considéré que l’absence de dépôt de plainte de la femme participait à démontrer sa mauvaise foi. La CEDH a donné tort à la France. (...)

Une fois les voies de recours épuisées en France, les personnes se disant victimes de violences sexuelles peuvent aller devant la Cour européenne des droits de l’homme dans l’objectif de faire condamner leur pays. La Cour n’accepte de se pencher que sur environ 10 % des requêtes. Cependant, pour les seules années 2022 et 2023, Mediapart a donc identifié pas moins de huit affaires françaises qui seront examinées par la CEDH.
Un moment de prise de conscience

Jamais autant d’affaires sur ce sujet n’étaient arrivées devant la juridiction européenne en si peu de temps. (...)

Aujourd’hui, la loi ne permet pas de reconnaître l’emprise dans les cas de viols. Le seul élément sur lequel peuvent s’appuyer les plaignantes est la notion de « contrainte » qui apparaît dans la définition pénale, qu’elle soit morale ou économique. Seulement, elle reste difficile à objectiver et rarement retenue par les magistrats, peu formés à s’en saisir.

Ce n’est pas le cas non plus pour les victimes en état de « sidération » (un choc psychique qui empêche toute réaction ou riposte de la part de la victime) et dont la Cour européenne aura à se saisir dans l’une des huit requêtes portées devant elle. (...)

« Le consentement, malgré le fait qu’il n’apparaît pas dans la loi, est au cœur de ces dossiers : il est une arme de défense des agresseurs », déplore Me Marjolaine Vignola qui rappelle que la convention d’Istanbul oblige la France à changer sa loi depuis 2014 pour y intégrer, notamment, l’examen du consentement « dans le contexte des circonstances environnantes ». L’état d’ébriété de la victime, le lieu de l’acte sexuel, la position sociale de la victime vis-à-vis de son agresseur... « Tous les éléments qui devraient renforcer les éléments négatifs contre l’agresseur présumé se retournent contre la victime », explique Magali Lafourcade qui met elle aussi en cause la définition actuelle. (...)

Le 6 février, le gouvernement français a refusé d’approuver l’article 5 de la directive européenne contre les violences faites aux femmes qui allait rendre obligatoire une définition du viol basée sur la notion de consentement pour tous les États-membres de l’Union européenne. Mais en cas de condamnation de la France par la CEDH, la France sera obligée de changer sa loi, « et si elle refuse, ce sera la jurisprudence de la Cour de cassation qui y sera contrainte », explique le juriste Nicolas Hervieu.

Les premiers jugements étant attendus d’ici la fin de l’année 2024, de son côté, un groupe de député·es de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) a déposé le 13 février une proposition de loi « visant à intégrer la notion de consentement dans la définition pénale des infractions d’agression sexuelle et de viol » qui prend en compte les circonstances environnantes. Une loi qui n’a que peu de chances d’être examinée prochainement vu la configuration actuelle de l’Assemblée nationale. (...)