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Mediapart
« Terrorisme », « crimes de guerre » ou « crimes contre l’humanité » ? Les mots justes pour qualifier les violences
#Israel #Hamas #Palestine
Article mis en ligne le 16 octobre 2023

Depuis l’attaque lancée par le Hamas sur Israël et la riposte de l’État hébreu, chaque camp accuse l’autre d’avoir frappé des populations civiles innocentes, de les avoir prises en otages ou de les avoir bombardées. Comment qualifier juridiquement ces faits ? Quelles différences y a-t-il entre crime de guerre, crime contre l’humanité et acte terroriste ?

Alors que la riposte israélienne à l’attaque du Hamas ayant fait plus de 1 200 morts ne semble que débuter, elle a déjà fait plus de 2 200 victimes côté palestinien. De nombreux civils figurent parmi les morts, les blessés, les otages pris par le Hamas et les familles déplacées par les bombardements israéliens dans une bande de Gaza assiégée.

Que valent ces accusations au regard du droit international ? Comment qualifier les violences et les exactions commises depuis une semaine ? De quel recours disposent les victimes et que risquent les coupables ? (...)

Comment qualifier les faits ?

Julia Grignon, professeure de droit international humanitaire à l’université Laval et directrice de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), commence par poser les bases des actes punissables. « En droit international, il y a quatre crimes : l’agression, le crime de guerre, le crime contre l’humanité et le génocide », explique-t-elle. (...)

« Ces qualifications ne s’excluent pas mutuellement, précise Julia Grignon. Un meurtre peut constituer un crime de guerre, commis dans le cadre d’un crime contre l’humanité ou d’un génocide. » (...)

Avant de se prononcer sur les derniers événements, la juriste tient à rappeler que ceux-ci s’inscrivent « dans un conflit préexistant ». « Depuis 1967, la Cisjordanie et le plateau du Golan et la bande de Gaza sont des territoires occupés. Ce n’est pas moi qui le dis, mais la Cour internationale de justice (CIJ) dans un avis de 2004. »

Ce statut de territoires occupés octroie à ceux-ci certains droits garantis par le droit humanitaire visant à protéger leurs « populations placées dans une situation de grande vulnérabilité car elles se trouvent sous le contrôle d’une puissance occupante », poursuit Julia Grignon.

« Depuis la décision de la CIJ, précise-t-elle, les choses ont pourtant changé. En 2005, l’armée israélienne s’est retirée unilatéralement de la bande de Gaza, peut-être pour ne plus être considérée comme une puissance occupante. Elle conserve cependant toujours un contrôle total, terrestre, maritime et aérien. La doctrine estime donc que la bande de Gaza est un territoire occupé. »

C’est donc « dans le cadre de ce conflit préexistant que, le 7 octobre dernier, un groupe armé de ce territoire occupé a mené une attaque de grande ampleur », reprend la juriste. « Sur les actes en eux-mêmes, c’est le droit humanitaire qui s’applique. »

Et dans le cadre de l’attaque du Hamas, sa violation est évidente (...)

« Concernant la riposte, ajoute la juriste, pour l’instant l’armée israélienne bombarde massivement la bande de Gaza. Si elle cible une position du Hamas, c’est un objectif militaire et elle peut frapper. Même si c’est une base installée dans un bâtiment civil, Israël a le droit de riposter. En revanche, on n’a pas le droit de bombarder des civils. La question de savoir si toutes les frappes israéliennes ont touché des bases du Hamas va donc se poser. Il y a par exemple une mosquée qui a été frappée. Y avait-il des membres du Hamas à l’intérieur ? » (...)

« Nous sommes dans une situation de conflit armé au sein duquel les attaques du Hamas et la riposte d’Israël pourraient relever de crimes de guerre, abonde Marina Eudes, professeure de droit international au Centre de droit international de l’université Paris-Nanterre. Dans le cas du Hamas, les actes de terrorisme sont interdits et s’en prendre à des civils est un crime de guerre. Concernant la riposte israélienne, il y a eu des bombardements de zones civiles et il y a en plus la mise en place d’un blocus qui pourrait, à terme, mettre en danger la vie de personnes. Et ce alors qu’Israël a ratifié la quatrième Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. »

« Le siège n’est pas interdit en soi, complète Julia Grignon. On va cependant regarder les effets produits par le siège, s’il va affecter la population dans un sens contraire aux droits humains. » Ainsi, « provoquer une famine est interdit ». De même, « on n’a pas le droit d’interdire l’assistance humanitaire ». « Lorsque l’on coupe l’électricité pour toute la population, cela va toucher également, par exemple, les hôpitaux, poursuit la juriste. Et lorsque leurs groupes électrogènes seront à court d’essence, cela mettra en danger la vie de patients, comme ceux placés en réanimation. »

Est-il déjà possible de déterminer dans quelles catégories de crimes entrent les éventuelles exactions commises par les deux camps ? « Je ne fais pas de gradation dans l’horreur », pose en préambule Julia Grignon. « Il y a à l’évidence des crimes de guerre », constate ensuite la juriste. Mais pour aller plus loin et caractériser un crime contre l’humanité, il faudra « prouver qu’il y a eu une attaque généralisée et systématique contre une population civile », pointe la juriste. « Ce qui est déjà plus difficile à prouver juridiquement. (...)

Les enquêteurs pourront par ailleurs éclairer les faits à la lueur des déclarations des responsables politiques et militaires de deux camps. Comme celle du ministre israélien de la défense Yoav Galant dans laquelle il affirme combattre « des animaux humains ». « C’est abominable de parler comme cela, estime Julia Grignon. C’est comme le fait de déclarer que l’on ne fera pas de quartier. C’est interdit par le droit international. » (...)

Reste la qualification de terrorisme. Pour Johann Soufi, avocat international, la question ne se pose pas au niveau du droit international. (...)

n’importe que régime autoritaire sait que “la lutte contre le terrorisme” est le meilleur prétexte pour s’attaquer aux libertés publiques et aux opposants. »

Il n’existe d’ailleurs aucune définition universelle du terrorisme. (...)

« Le second obstacle est la reconnaissance des actes conduits par les “mouvements de libération nationale”. Des États, souvent anciennement colonisés, estiment que, dans la définition du terrorisme, il faut conserver une certaine marge de manœuvre en excluant les mouvements de lutte armée contre un occupant, et ce même lorsqu’il use de la terreur. Et c’est là également un point de dispute central dans le conflit israélo-palestinien. » (...)

« Les actes du Hamas peuvent bien entendu être qualifiés de terroristes, ajoute la juriste. Je n’ai aucun problème avec ça. Mais ils peuvent aussi être des crimes de guerre, ou les deux, voire des crimes contre l’humanité. La qualification terroriste n’apporte rien. » (...)

En outre, si elle n’a pas d’incidence en droit international, la qualification terroriste ouvre bien souvent la voie, au niveau national, à des procédures dérogatoires au droit commun. (...)

Entre l’opposition d’Israël à toute enquête indépendante et le manque de volonté de la communauté internationale, les chances de voir aboutir une enquête de la CPI dans les territoires occupés peuvent sembler bien minces. « Je suis encore confiant, assure pourtant Johann Soufi. Cela fait dix-sept ans que je travaille dans ce domaine et que j’ai déjà vu se réaliser des choses que l’on pensait impossibles, comme le mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. »

« Après, je suis conscient des réalités politiques et diplomatiques, admet l’ancien procureur international. J’ai donc une confiance teintée de réalisme. Mais pour la situation en Palestine, la justice internationale est aujourd’hui la seule voie en l’absence de volonté politique de solutionner le conflit. J’aimerais que ce soit la diplomatie, mais ce n’est malheureusement pour l’instant pas le cas. »

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 (The Conversation)
Terrorisme ou crimes de guerre ?

Depuis l’annonce des crimes de masse perpétrés par la branche armée du Hamas depuis le 7 octobre dernier, le débat se concentre notamment sur la qualification qu’il convient de leur apporter. Si nombre de commentateurs s’en saisissent pour brocarder sans nuances celles et ceux qui privilégient la notion de crimes de guerre à celle de terrorisme, cette question mérite pourtant mieux que la polémique politicienne à laquelle elle est réduite dans la plupart des médias. (...)