
Près d’un an après le cessez-le-feu avec Israël, la situation dans le sud du Liban reste très volatile : l’armée israélienne mène encore des frappes et le Hezbollah refuse de remettre ses armes. Radio-Canada s’est rendu dans les villages frontaliers, où le retour des habitants se fait au compte-gouttes.
Le mouvement armé libanais Hezbollah, soutenu par l’Iran, a ouvert un front contre Israël au lendemain de l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, pour soutenir son allié palestinien. Ces hostilités ont dégénéré en guerre ouverte en septembre 2024, avant la signature d’un accord de cessez-le-feu le 27 novembre.
En 13 mois de conflit, cette guerre a fait plus de 4000 morts et 16 600 blessés, majoritairement des civils, au Liban. Du côté israélien, le bilan est à 78 morts, parmi lesquels 48 soldats.
« C’est l’heure du dîner. Normalement, je vous aurais invitée à manger à la maison, mais, comme vous pouvez le constater, il ne reste absolument plus rien. »
Nous sommes à Khiyam, un village libanais situé à cinq kilomètres de la frontière israélienne, qui a été l’un des plus ravagés par la guerre de deux mois qui a opposé le Hezbollah à l’État hébreu il y a près d’un an.
Abou Fadel, un homme de 40 ans, qui réside à Beyrouth mais qui est originaire de cette localité, regarde ce qui reste de sa maison ancestrale : un amas de pierres et de poussière.
Son visage est de marbre, son ton est stoïque, on n’y décèle aucune émotion. Et pourtant, sa perte est inestimable. La maison avait été construite par son arrière-grand-père il y a plus de 100 ans. (...)
En novembre dernier, quelques jours avant la conclusion d’un accord de trêve, elle a été réduite à néant par une frappe israélienne. (...)
Tout comme Abou Fadel, ils sont des milliers de Libanais à avoir perdu leur maison lors de cette guerre. Les villages limitrophes de la frontière israélienne sont ceux qui ont été le plus touchés, certains ayant été complètement rayés de la carte. Rien qu’à Khiyam, les autorités municipales estiment qu’il y a plus de 6000 logements qui ont été entièrement détruits ou gravement endommagés.
Selon l’ONU, 11 mois après l’entrée en vigueur de l’accord de trêve, quelque 80 000 personnes sont toujours déplacées au Liban. Côté israélien, près de 30 000 personnes ne sont pas rentrées chez elles dans le nord du pays.
Au Liban-Sud, le principal obstacle qui empêche le retour des habitants, c’est la situation sécuritaire qui demeure encore très volatile, malgré l’accord de cessez-le-feu.
Cet accord prévoit notamment que l’armée libanaise et les Casques bleus de l’ONU soient les seules forces présentes dans le sud du Liban. Il prévoit aussi le désarmement des groupes non étatiques, dont le Hezbollah, et le retrait des forces israéliennes du territoire libanais. (...)
Mais, à ce jour, cette trêve n’est que partiellement respectée : Israël maintient toujours cinq positions jugées stratégiques dans le sud du Liban et mène régulièrement des frappes en territoire libanais. Le Hezbollah, quant à lui, refuse toute discussion sur la remise de ses armes tant que l’armée israélienne ne se sera pas totalement retirée du Liban.
L’armée israélienne dit viser des combattants et des infrastructures du Hezbollah, qui est considéré comme un groupe terroriste dans plusieurs pays, dont le Canada, mais des frappes de drones ont aussi visé des zones résidentielles, ainsi que des positions des Casques bleus de l’ONU. (...)
Depuis l’entrée en vigueur de la trêve, en novembre dernier, 103 civils libanais ont été tués dans des frappes israéliennes, a affirmé mercredi le haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU. (...)
"Les familles sont incapables de commencer à reconstruire leurs maisons et leur vie, et elles doivent désormais faire face au danger imminent de nouvelles frappes", a dénoncé le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk. "Des centaines d’écoles, de centres de santé, de lieux de culte et d’autres infrastructures civiles endommagées restent des zones interdites d’accès, ou, au mieux, partiellement utilisables."
Toujours selon l’ONU, aucun décès n’a en revanche été signalé en Israël à la suite de tirs de projectiles à partir du Liban depuis la trêve.
Pas de désarmement, pas de reconstruction
L’autre obstacle au retour des habitants dans le sud du Liban est l’absence de tout effort de reconstruction dans la région.
Confronté depuis six ans à sa plus grave crise financière et économique, le Liban dépend de l’aide internationale pour se reconstruire. Mais les donateurs, menés par les États-Unis, conditionnent cette aide à la mise en place de réformes, mais surtout au désarmement du Hezbollah. (...)
"Le Liban a respecté ses engagements, mais l’ennemi israélien, lui, continue de nous bombarder et de s’infiltrer dans notre territoire", accuse ce partisan du Hezbollah. Comme la plupart des personnes interrogées dans le village, Abou Hassan a souhaité garder l’anonymat et n’a pas accepté de se faire photographier.
« Les Israéliens nous interdisent de reconstruire nos maisons, ils veulent qu’on rende nos armes. Mais nous n’allons jamais désarmer, même pas dans leurs rêves les plus fous. Il n’y a que Dieu qui puisse prendre nos armes. » Une citation de Abou Hassan
La question du désarmement du Hezbollah fait l’objet de tensions internes au Liban, des responsables des communautés chrétiennes et sunnites réclamant eux aussi le démantèlement de la milice chiite. (...)
La fracture entre les différentes communautés libanaises est visible à l’œil nu, surtout dans le Liban-Sud, le long de la frontière avec Israël. De Naqoura à Khiyam, un chapelet de villages chrétiens semble avoir été épargné par la guerre de deux mois entre le Hezbollah et l’armée israélienne.
Dans les rues étroites d’Alma Al-Chaab, les dégâts sont à peine perceptibles. (...)
Joseph, qui travaille dans un salon de coiffure à Beyrouth, est originaire de la région. Il se dit catégoriquement opposé au Hezbollah et soutient son désarmement. (...)
À Khiyam, où les chrétiens ne représentent que 6 % des 25 000 habitants, majoritairement chiites, le discours est tout autre. La plupart des résidents interrogés n’ont pas confiance en la capacité de l’armée libanaise de les protéger face à Israël. (...)