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Reporterre
Surpêche : le « navire de l’enfer » de retour en mer avec l’aide de la France
#surpeche #biodiversite #lobbys
Article mis en ligne le 22 novembre 2025

L’« Annelies Ilena », le chalutier-congélateur, est de retour en mer à la faveur d’un nouvel accord d’échanges de quotas de poissons entre la France et la Pologne. Cet accord, particulièrement opaque, est dénoncé par les ONG.

Surnommé le « navire de l’enfer » par les pêcheurs mauritaniens qui ont croisé sa route, l’Annelies Ilena est reparti pour un tour dans l’Atlantique. Après un été dans le Pacifique, ce chalutier-congélateur de 135 mètres de long, opérant pour le compte de la Compagnie des pêches de Saint-Malo (qui a investi 15 millions d’euros pour y construire une usine de surimis embarquée) croise en ce moment au large du Royaume-Uni.

Cette nouvelle campagne de pêche a-t-elle été rendue possible par la France, comme ce fut le cas l’année dernière ? En 2024, le gouvernement avait autorisé un transfert de quotas de 22 000 tonnes de merlan bleu — l’espèce ciblée par l’Annelies Ilena — vers la Pologne, pays sous lequel le navire-usine bat pavillon. Un échange justifié à l’époque par les « retombées » des activités de l’Annelies Ilena pour la filière des produits de la mer française — la Compagnie des pêches de Saint-Malo employant près de 300 personnes en mer et à terre.
Une grande opacité

Cette année, rebelote : d’après une analyse menée par l’association Bloom à partir d’une base de données de la Commission européenne, la France a fourni 26 235 tonnes de merlan bleu (soit 57 % du volume qui lui est attribué par l’Union pour pêcher dans ses eaux) à la Pologne (qui ne dispose pas de quotas de merlan bleu) en 2025, en échange de 1 172 tonnes de cabillaud polonais. De quoi remplir les cales de l’Annelies Ilena. « Ça correspond parfaitement aux volumes échangés [pour son compte] l’an dernier », observe Fabien Randrianarisoa, chargé de campagne Pêches industrielles chez Bloom.

Cet échange s’est fait dans la plus grande opacité, sans aucune annonce publique. (...)

Malgré les quatre demandes de Reporterre (la première datant du 4 novembre), les ministères de l’écologie et de la mer ont refusé de nous donner des informations sur les échanges de quotas de merlan bleu entre la France et la Pologne en 2025, et leur raison d’être. La Compagnie des pêches de Saint-Malo, contactée via son directeur général Florian Soisson, n’a pas non plus répondu à nos sollicitations.

Pour Fabien Randrianarisoa, cet échange est « la marque du pouvoir des lobbies » de la pêche industrielle : « Ils sont tellement forts que les élus n’osent pas aller contre eux. » Les deux sociétés française et polonaise qui exploitent aujourd’hui l’Annelies Ilena, la compagnie des pêches de Saint-Malo et Atlantex, ont pour actionnaire commun le néerlandais Parlevliet & Van der Plas. Le groupe est l’un des cinq piliers de la pêche industrielle en Europe. (...)

Un emblème des dérives de la pêche industrielle (...)

Le chalutier-congélateur est considéré par les associations de protection de l’océan et les défenseurs de la petite pêche artisanale comme un emblème des dérives de la pêche industrielle.

Il est si grand qu’il ne peut entrer dans le port de la cité malouine. Pour livrer la Compagnie des pêches de Saint-Malo en pâte de surimi surgelée, il doit d’abord débarquer ses prises au port d’Ijmuiden, aux Pays-Bas, puis les transporter en camion jusqu’à l’usine de l’entreprise française, à 800 kilomètres de là. (...)

Inauguré au début des années 2000, ce bateau est connu pour avoir fait des ravages en Afrique de l’Ouest, en « siphonnant » les ressources au détriment des pêcheurs locaux. À son retour dans les eaux européennes, en 2015, son capitaine avait été condamné à une amende de 105 000 euros pour avoir « écrémé » « de manière systémique » du poisson — une pratique illégale consistant à trier le poisson après l’avoir pêché, et à rejeter par-dessus bord — morts — les individus les moins rentables, afin de garder de la place pour des espèces de plus grande valeur marchande.

Dans son ouvrage L’Histoire contre-nature de la mer, le biologiste marin et professeur à l’université d’Exeter Callum Roberts écrit à son sujet : « Voilà un bateau qui n’aurait jamais dû être construit. »