
La Commission européenne a annoncé une ambitieuse réforme pour améliorer le sort des animaux d’élevage. Mais elle traîne, sous la pression des lobbys de l’agroalimentaire. En France, le ministère de l’Agriculture freine tout changement de modèle.
Chaque année, en Europe, 700 millions de poules, cailles, lapins, truies, canards sont confinés dans de minuscules cages. Les truies en élevage intensif passent près de la moitié de leur vie dans des cages individuelles au sein desquelles elles sont bloquées en permanence. Neuf poulets sur dix en Europe sont « à croissance rapide » : leur génétique a été sélectionnée pour atteindre un poids d’abattage en seulement 35 jours. (...)
Une réforme qui traîne
Les données scientifiques en matière de bien-être animal ont significativement évolué pendant que les règles de l’Union européenne (UE) en la matière sont restées largement inchangées, certaines depuis plus de 20 ans. Ainsi, la plupart des scientifiques et des juristes reconnaissent désormais que les animaux ont des capacités psychiques, notamment émotionnelles [2]. De nombreuses pratiques toujours autorisées par l’UE ne le sont plus dans certains États membres, comme la Suède qui interdit les cases de gestation et de mise-bas pour les truies.
En mai 2020, sous la pression croissante de plusieurs ONG de protection animale, la Commission européenne annonce vouloir entreprendre une ambitieuse réforme législative visant à améliorer le sort de ces animaux. Il s’agit de faire évoluer les textes réglementant les conditions d’élevage, de transport et d’abattage, de façon à les aligner avec les connaissances scientifiques les plus récentes. La Commission européenne s’est notamment engagée à interdire l’élevage en cage. L’enjeu est aussi de proposer un système d’étiquetage relatif au bien-être animal sur les produits issus de l’élevage. La Commission s’était alors engagée à présenter cette stratégie pour le troisième trimestre 2023. (...)
Nous y sommes. Mais sous la pression du parti conservateur européen PPE et du lobby agricole Copa-Cogeca (l’union des deux plus importants syndicats européens de représentation des intérêts des agriculteurs, Copa, et coopératives agricoles, Cogeca), dont la FNSEA est membre, l’exécutif européen semble sur le point d’abandonner sa promesse. L’inquiétude est montée d’un cran le 13 septembre, en l’absence de mention du sujet lors du discours sur l’état de l’Union par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.
Cet « oubli » a fait bondir l’eurodéputée écologiste Caroline Roose. (...)
Lobbying des coopératives agricoles à Bruxelles
La question intéresse en revanche beaucoup le groupe de pression Copa-Cogeca. Ces derniers mois, l’organisme a obtenu plusieurs rendez-vous avec les cabinets de commissaires européens sur cette réforme de la législation sur le bien-être animal. (...)
Dans le même temps, l’association Welfarm ou la LFDA (Fondation droit animal, éthique et sciences), elles aussi inscrites au registre des lobbys européens, n’ont obtenu aucun rendez-vous avec les cabinets de commissaires, sur ce sujet qu’elles défendent.
Concertation « au pas de course »
En France, le ministère français de l’Agriculture a organisé une concertation, de mars à juin dernier, regroupant ONG de protection animale et professionnels de l’élevage (instituts techniques, interprofessions et syndicats représentant les intérêts des différentes filières). Au programme, quatre groupes de travail pour échanger sur le bien-être des animaux – c’est-à-dire les souffrances – pendant l’élevage et le transport, mais aussi sur la formation des éleveurs et l’accompagnement de la transition. Les ONG ont vite déchanté. (...)
Le rapport de synthèse du groupe « bien-être animal en élevage » que basta ! a pu consulter, montre que 64 % des parties prenantes représentaient des organismes professionnels de l’élevage, 8 % des organismes scientifiques, et seulement 15 % des ONG de protection animale. « Il ne faut pas se mentir : les professionnels toutes filières confondues, et d’autant plus la FNSEA, ont l’oreille du ministre », critique la responsable. (...)
Gagner du temps
Pour les filières d’élevage, la priorité semble être de gagner du temps. La teneur des échanges concernant les mutilations en élevage en est une bonne illustration. En système intensif, la coupe des cornes des bovins (écornage), de la queue des porcs (caudectomie) ou encore du bec des volailles (épointage) est pratiquée de façon routinière, pour limiter les dégâts causés par certains troubles du comportement développés en élevage, notamment les comportements d’agression. (...)
Les considérations économiques priment
Éviter la mutilation, la restriction alimentaire, l’utilisation de cages, donner aux animaux davantage d’espace... Ces pistes de solutions relatives aux souffrances animales ont été détaillées dans une série d’avis scientifiques produits ces derniers mois par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Ces recommandations ont été balayées d’un revers de main par les filières, qui jugent l’EFSA déconnectée des réalités socioéconomiques de l’élevage et demandent davantage d’évaluations d’impact pour chiffrer les coûts de la transition. (...)
Le 3 octobre, le nouveau vice-président exécutif chargé du Pacte vert, Maroš Šefčovič, a finalement annoncé que la Commission européenne présenterait en décembre un texte sur la protection des animaux pendant le transport – l’un des quatre volets initialement promis.
Alors qu’une révision complète est pressante, « la vie de milliards d’animaux et les attentes de millions de citoyens européens sont ignorées », s’est insurgé l’Eurogroup for Animals. Pour maintenir la pression, l’ONG lance une nouvelle campagne de mobilisation, avec le mot d’ordre « Publiez la proposition ».