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Sivens : ce qui s’est vraiment passé la nuit de la mort de Rémi Fraisse
#Sivens #RemiFraisse
Article mis en ligne le 3 septembre 2024
dernière modification le 1er septembre 2024

Dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, Rémi Fraisse était tué par une grenade lancée par un gendarme, à Sivens. S’appuyant sur le dossier d’instruction et de nombreux témoignages, les trois volets de notre enquête ici rassemblés révèlent ce qui s’est vraiment passé la nuit du drame et ce qui a suivi. Et établit que les responsables de la mort du jeune homme se trouvent au plus haut niveau.

1. Rémi Fraisse : il y avait une équipe fantôme

À la lumière du dossier d’instruction et de nombreux témoignages, Reporterre révèle les faits. Ils contredisent la version officielle. Une équipe fantôme de gendarmes a agi cette nuit-là. Et n’avait pas pour seul but de défendre la zone. (...)

Interpeller - et pas seulement défendre

La question des interpellations est essentielle. Car, à Sivens, ce weekend-là, le premier motif de la présence policière paraissait clair : éviter à tout prix que l’afflux de manifestants empêche la reprise des travaux du barrage le lundi matin. Il n’est pas question pour le gouvernement de laisser s’installer un deuxième Notre-Dame-des-Landes. Les gendarmes doivent tenir une « zone de vie » vide qui devient un symbole et un élément stratégique. Pour cela, il faut empêcher les incursions de toutes parts. Mais alors, pourquoi dissimuler, sur place, une équipe fantôme, et pourquoi, par la suite, tenter d’en effacer les traces dans le dossier d’instruction ? Y-a-t-il un objectif inavouable qu’ont tenté de cacher les forces de l’ordre ?

La réponse, les gendarmes peuvent la donner. Plus tôt dans la journée, le commandant de la gendarmerie du Tarn recevait un texto : « On est attendu sur les interpellations. » Il est envoyé par le directeur général de la Gendarmerie nationale. Celui-ci est sous les ordres directs du ministère de l’Intérieur. Telle semble la raison d’être de l’équipe fantôme : pour pouvoir interpeller des individus, il est plus aisé de contourner le dispositif grillagé et de se poster dans l’obscurité, hors de la base de vie, pour arrêter des manifestants isolés et/ou ciblés. Cette tactique de « discrétion dans l’exécution de certaines missions », avec « actions ciblées sur les meneurs » et « arrestations », est préconisée dans un manuel de formation de gendarmerie que Reporterre s’est procuré. (...)

Mais ce qui n’était pas prévu cette nuit-là, c’est la présence de Rémi Fraisse à quelques mètres seulement de l’équipe fantôme. Il reçoit une ou plusieurs grenades offensives lancées depuis l’intérieur et/ou de l’extérieur de la zone de vie et meurt sur le coup.

Deux heures après son décès, les gendarmes reçoivent enfin l’ordre de « décrocher ». Soudain, un rideau opaque de gaz lacrymogène s’abat sur le lieu des affrontements. Les fourgons s’évanouissent dans la nuit. Les manifestants prennent possession de la « base vie » sans se douter du drame qui vient de se jouer.

Au petit matin, la préfecture du Tarn annonce, dans un communiqué laconique : « Cette nuit, vers 2 heures du matin, le corps d’un homme a été découvert par les gendarmes sur le site de Sivens », en omettant de mentionner le contexte d’affrontements pourtant déjà connu des autorités. (...)

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(...) dans les premières semaines de l’enquête, la gendarmerie a multiplié coups tordus et pressions sur les témoins pour tenter de cacher la vérité. Voici les faits. (...)

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A Sivens, dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, la mort de Rémi Fraisse est le résultat d’une opération de gendarmerie toute différente de la version officielle, comme l’a révélé Reporterre. Mais les gendarmes n’ont pas agi spontanément : c’est toute une chaine de commandement qui est en cause, et qui remonte jusqu’à Paris. (...)

Le chercheur Mathieu Rigouste a étudié les mutations des doctrines de maintien de l’ordre dans la France contemporaine. Pour lui, ce qui se déploie à Sivens, comme aujourd’hui dans le mouvement social contre la loi Travail, c’est « un mode de pensée, une matrice idéologique structurée par et pour la “guerre dans la population”, qui s’inspire des dispositifs des répertoires militaires et coloniaux ». En somme, le manifestant qui proteste contre un projet économique ou une loi n’est plus considéré comme un citoyen, mais comme un « ennemi intérieur » à neutraliser par une démonstration de force. Encore faut-il expérimenter ces méthodes.

Qui dit expérimentation dit retour d’expérience. Comme nous l’apprend le dossier d’instruction, à la différence des autres escadrons de gendarmerie envoyés à Sivens, les militaires de La Réole, mis en cause dans la mort de Rémi Fraisse, envoient systématiquement leurs comptes-rendus au CNEFG, le Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie. C’est là, à Saint-Astier, en Dordogne, qu’est formée l’élite des gendarmes mobiles français.

Ces rapports sont particulièrement précis et détaillés. Avant même le weekend meurtrier des 25 et 26 octobre, cet escadron est déjà intervenu à plusieurs reprises sur la ZAD. Au cours des deux mois qui ont précédé la mort de Rémi Fraisse, les interventions des gendarmes étaient fréquentes et particulièrement violentes. Dans les « enseignements tirés de l’intervention », il est précisé notamment « qu’une unité de forces mobiles supplémentaire permettrait de manœuvrer plus aisément et en toute sécurité » tandis que « les PSIG [Pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie] font un travail remarquable mais ne disposent pas d’un équipement adapté pour le RO » (rétablissement de l’ordre). Des préconisations bien particulières dans un contexte d’affrontements. Quelle donc est la véritable mission de cet escadron à Sivens ?

Le terrain paraît en tout cas approprié à l’expérimentation de nouvelles techniques de rétablissement de l’ordre. Niché au creux d’une petite vallée du Tarn, la ZAD du Testet est à l’abri des radars médiatiques. De plus, le nombre d’occupants est beaucoup moins important qu’à Notre-Dame-des-Landes. Enfin, la zone a été contrôlée en continu par les forces de l’ordre pendant deux mois. De quoi laisser le temps de tester grandeur nature de nouveaux dispositifs. Mais si expérimentation il y a eu, cela n’a pas pu se faire sans l’aval de la hiérarchie. (...)

Le maréchal des logis (MDL) J., principal mis en cause jusqu’ici dans la mort de Rémi Fraisse, rappelle, dans son audition, qu’il a agi sur ordre : « Nous avons l’autorisation d’utiliser les grenades offensives depuis une heure du matin (...) autorisation qui m’est rappelée par le major A. et ce, cinq minutes auparavant. » Le major A. est à la tête des quinze gendarmes formant le peloton Charlie. Au-dessus de lui, le capitaine J. commande l’escadron de gendarmerie mobile de La Réole et ses 72 gendarmes déployés ce soir-là à Sivens (...)

Pourquoi un seul gendarme est-il accusé alors que la hiérarchie qui l’a autorisé à utiliser une grenade mortelle n’est pas inquiétée par la justice ? Les juges d’instruction chargées du dossier n’ont pas tranché la question, elles ont pour l’instant placé en mars dernier le maréchal des logis J. sous le statut de témoin assisté pour « homicide involontaire ». Cette décision pourrait aussi bien ouvrir la voie à un non-lieu qu’à la mise en cause de la chaîne de commandement. Mais les vrais responsables ne sont pas inquiétés.

Celui qui sait presque tout... exilé en Nouvelle-Calédonie (...)

La justice entendra-t-elle les responsables ?

Dès lors, une question se pose : le maintien de l’ordre à Sivens a-t-il été directement piloté par le Premier ministre et ses proches, dont le directeur général de la gendarmerie nationale, en liaison avec le ministère de l’Intérieur ?

L’enquête sur la mort de Rémi Fraisse est loin d’être terminée. Malgré des mois d’instruction, toutes les réponses n’ont pas été livrées sur les faits qui ont conduit au décès d’un jeune homme venu participer à un rassemblement militant le 25 octobre 2014, dans le Tarn.

Vendredi 1er juillet, le tribunal administratif de Toulouse a rendu ses décisions sur le projet du barrage de Sivens. La justice a annulé trois arrêtés fondateurs dont la déclaration d’utilité publique. Les travaux engagés étaient donc totalement illégaux. Rémi Fraisse a été tué sur le lieu d’un projet de barrage illégal. Que fera la justice pénale ?